Quelles sanctions peut-on obtenir ?

Vincent Fauchoux
Par Vincent Fauchoux
Avocat au barreau de Paris et cofondateur du site BlockchainyouIp. Ancien président de l'association Cyberlex (2005- 2007), il est à l'origine des Rencontres annuelles du Droit de l'Internet.

Le principe : La nature des sanctions encourues par un contrefacteur

La contrefaçon étant de nature à la fois civile et pénale, les sanctions encourues par le contrefacteur sont les suivantes.

1) Les sanctions pénales

Elles sont de deux ordres : les peines principales (emprisonnement et amende) et les peines complémentaires.

a) les peines d’emprisonnement: la contrefaçon est punie d’un maximum de 3 ans de prison, portés à 5 ans en cas de délit commis en bande organisée, six en cas de récidive.

b) les peines d’amende: la contrefaçon est punie d’un maximum de 300.000 euros d’amende, portés à 500.000 en cas de délit commis en bande organisée, et 600.000 en cas de récidive[1]. A noter que les personnes morales encourent le quintuple de cette amende.

c) les peines complémentaires :

  • le contrefacteur peut être condamné, à ses frais, à retirer des circuits commerciaux les objets jugés contrefaisants et toute chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction[2];
  • le contrefacteur peut être condamné, à ses frais, à la destruction ou à la remise à la victime des objets et choses retirés des circuits commerciaux ou confisqués. En matière de droit d’auteur, la confiscation peut porter également sur les recettes procurées par la contrefaçon[3];
  • le contrefacteur peut encore être condamné à la fermeture totale ou partielle, définitive ou temporaire, pour une durée au plus de cinq ans, de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction[4];
  • le juge peut enfin ordonner la publication du jugement de condamnation dans un certain nombre de publications de presse qu’il déterminera[5].

A noter que ces sanctions complémentaires, à l’exception de la fermeture, peuvent être prononcées par le juge pénal comme par le juge civil[6].

2) Les sanctions civiles

Les sanctions civiles sont de deux ordres : la cessation des actes illicites et la réparation desdits actes.

a) La cessation des actes illicites : c’est un objectif fondamental de l’action en contrefaçon ; le titulaire de droits de propriété intellectuelle doit rétablir l’exclusivité qu’il détient sur ses droits et dont il est seul gestionnaire. Le juge ordonnera donc, à la demande de la victime, que les actes de contrefaçon cessent pour l’avenir.

b) La réparation du préjudice subi : c’est l’autre objectif fondamental de l’action en contrefaçon. Si les actes illicites cessent pour l’avenir, il faut également que la victime soit replacée dans l’état dans lequel elle se trouvait avant la commission de ces actes de contrefaçon. Cela se réalise par l’allocation à la victime de la contrefaçon de dommages et intérêts, ainsi que par des mesures de réparation en nature.

1. Les dommages et intérêts : Le préjudice subi est réparé en premier chef par l’allocation de dommages et intérêts, qu’il convient de quantifier. En pratique, deux types de préjudice sont examinés par le juge :

  • le préjudice moral: c’est le préjudice causé par exemple par l’atteinte portée à l’image de la victime du fait de la diffusion des produits contrefaisants. Son évaluation est réalisée le plus souvent de manière arbitraire.
  • le préjudice patrimonial: pour évaluer le préjudice patrimonial subi, les juges analysent traditionnellement :
  • la perte subie du fait des actes de contrefaçon (par exemple, la perte de la valeur du modèle protégé du fait de sa banalisation causée par une contrefaçon de grande envergure).
  • le gain manqué (par exemple, les ventes qui auraient pu être réalisées mais qui ne l’ont pas été du fait de la contrefaçon).

Pour déterminer ce dernier, la méthode retenue la plupart du temps consiste à évaluer dans un premier temps la masse contrefaisante (à savoir le nombre de produits contrefaisants commercialisés) et à multiplier ce nombre par la marge brute réalisée par la victime de la contrefaçon. On obtient ainsi le bénéfice qu’aurait dû réaliser la victime de la contrefaçon.

  • Attention: l’évaluation traditionnelle des dommages et intérêts présente, depuis la loi du 29 octobre 2007, deux tempéraments favorables aux victimes de la contrefaçon.

La prise en compte de nouveaux critères :

Les juges doivent pour fixer les dommages et intérêts prendre en considération « les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la victime, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte » [7].

Il est donc possible de demander aux juges de réévaluer leur appréciation traditionnelle du préjudice subi en fonction de ces critères, ce qui peut conduire à une augmentation des dommages et intérêts alloués.

Depuis la loi du 11 mars 2014 il est précisé que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction doit prendre en compte ces postes de préjudice de manière distincte.

La possibilité d’une évaluation alternative, forfaitaire :

Sur demande de la victime, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte[8].

Depuis la loi du 11 mars 2014, la formule précise que cette somme n’est pas exclusive de la réparation du préjudice morale.

  • en pratique,on constate que la victime de la contrefaçon peut être déçue par une allocation de dommages et intérêts qu’elle juge trop faible. Pour éviter de telles déconvenues, il est recommandé de travailler en détail l’évaluation du préjudice subi qui sera présenté à l’examen du juge, le cas échéant avec l’aide d’un comptable ou de prestataires spécialisés.

2. Les mesures de réparation en nature:

Ces mesures ont déjà été détaillées dans la partie consacrée aux peines complémentaires. Pour mémoire, ce sont les mesures suivantes :

les mesures de confiscation et de destruction des produits contrefaisants: on rappellera la spécificité des mesures en matière de droit d’auteur, où la loi prévoit spécifiquement que le juge peut ordonner la confiscation des recettes procurées par la contrefaçon au profit de la victime de la contrefaçon ;

les mesures de publication: le jugement peut être publié dans la presse, ou encore sur des sites internet, dans des conditions déterminées par le juge[9].

Par exemple : Julie demande de sanctionner le contrefacteur d'un bracelet

Julie a créé un bracelet avec des pierres précieuses qui est original et protégé par un droit d’auteur. Ce bracelet est habituellement vendu 2000 euros. Elle réalise pour chaque bracelet vendu une marge de 1000 euros.

Elle constate qu’une copie conforme de ce bracelet est vendue à grande échelle dans une boutique parisienne et sur un site de vente en ligne, au prix cassé de 100 euros.

Avec son avocat, elle assigne le contrefacteur devant le tribunal de grande instance de Paris, au civil, sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur.

Il a réussi à déterminer que la boutique avait vendu près de 1000 bracelets , que 1000 autres étaient encore en stock et que la demande tendait à s’essouffler en raison de l’étendue de la promotion et des ventes réalisées par le contrefacteur.

Julie demande donc au juge :

  • de prononcer l’interdiction de la fabrication et de la commercialisation du bracelet contrefaisant ;
  • de fixer ses dommages et intérêts à 1.000.000 d’euros au titre du gain manqué (marge brute de 1000 x masse contrefaisante de 1000), 50.000 euros au titre de la perte subie (son sac se vend moins car il est devenu banal sur le marché, inondé de contrefaçons) et 10.000 euros au titre du préjudice moral (l’image de sa société est dévalorisée du fait des conditions de commercialisation du bracelet ) ;
  • d’ordonner la confiscation des recettes du contrefacteur à son profit ;
  • de prononcer le retrait de la vente de tous les bracelets non encore vendus et leur destruction aux frais du contrefacteur ;
  • d’ordonner la publication du jugement aux frais du contrefacteur, dans trois journaux de la presse professionnelle et sur son site internet, dans la limite de 5.000 euros par insertion.

Pour aller plus loin : l'évaluation du préjudice subi

Pour déterminer plus précisément le préjudice subi et présenter une évaluation convaincante de celui-ci au juge, la victime de la contrefaçon dispose depuis la loi du 29 octobre 2007 (améliorée et clarifiée par la loi du 11 mars 2014) d’un nouveau droit, dit droit d’information[10].

En pratique, si la demande lui en est faite, le juge saisie d’une action judiciaire (civile) peut ordonner, au besoin sous astreinte, la production de tous documents ou informations détenus par le contrefacteur supposé ou par toute personne qui a été trouvée en possession des produits contrefaisants ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits, et permettant de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent atteinte aux droits du demandeur.

Depuis la loi du 11 mars 2014, la communication de documents peut être ordonnée par la juridiction saisie au fond ou en référé. Le législateur a pris le soin de remplacer le mot « contrefaisant » par les termes « argués de contrefaçon » afin de tenir compte du fait qu’au moment où ce droit est exercé, la contrefaçon n’a pas encore été reconnue par une juridiction.

C’est surtout le type d’informations pouvant être obtenues qui est modifié puisque la loi abroge les alinéas qui dressaient la liste des documents. Désormais, les juridictions pourront ordonner la communication de tout type de documents sans être encadrées par une liste.

[1] Articles L.335-2 (droit d’auteur), L.521-10 (dessins et modèles), et L.716-10 (marques). En matière de marques, on relèvera les incriminations spécifiques de l’article L.716-9, qui vise les actes d’exploitation d’une marque contrefaisante en vue de la vente de produits portant cette marque, et qui porte les peines à 4 ans d’emprisonnement et 400.000 euros d’amende.

[2] Articles L.335-6 (droit d’auteur), L.521-11 (dessins et modèles) et L.716-13 (marques).

[3] Articles L. 335-6 (droit d’auteur), L.521-11 (dessins et modèles) et L.716-15 (marques).

[4] Articles L. 335-5 (droit d’auteur), L.521-10 (dessins et modèles) et L.716-11-1 (marques).

[5] Articles L.335-6 (droit d’auteur), L.521-11 (dessins et modèles) et L. 716-13 (marques).

[6] Expressément prévu en matière de droit d’auteur (article L.331-1-4) et de dessins et modèles (article L.521-8).

[7] Premier alinéa des articles L.331-1-3 (droit d’auteur), L.521-7 (dessins et modèles) et L.716-14 (marques)

[8] Second alinéa des articles L.331-1-3 (droit d’auteur), L.521-7 (dessins et modèles) et L.716-14 (marques)

[9] A noter que la victime doit fixer dans ses demandes le coût maximum de ces insertions de presse, le juge n’ayant pas ce pouvoir.

[10] Articles L.331-1-2 (droit d’auteur), L.521-5 (dessins et modèles) et L.716-7-1 (marques).