Apple contre Samsung : Les 3 enseignements de l’affaire. Lorsque deux leaders de la construction de terminaux mobiles se partagent 35 % du marché, tous les moyens sont bons, semble-t-il, pour tirer son épingle du jeu, ou parfois même enfoncer son concurrent. C’est typiquement le cas dans le procès qui oppose Apple et Samsung. Ou plutôt devrions-nous dire les affaires.
Car en effet, tout commence en 2011 lorsque la juge Lucy Koh condamne la firme coréenne à 400 millions de dollars de dommages-intérêts envers Apple pour violation de la propriété intellectuelle de la firme à la pomme. Après appel interjeté par Samsung en 2015, l’affaire est portée devant la Cour suprême qui, en 2016, annule la décision de 2011 en retenant que le sens « d’article manufacturé » était plus large que la définition retenue par la Juge Koh, et qu’elle englobait « autant un produit vendu à un consommateur qu’un composant de ce produit ».
L’affaire est alors renvoyée devant une juridiction de San José, Californie. Le 24 mai dernier, les jurés, emmenés par la même juge qu’en 2011, condamnent Samsung à verser 539 millions de dollars à la firme à la pomme, puisque trois de ses « patent design » (v. infra) avaient été violés par Samsung qui copiait la forme de l’iPhone – une forme rectangulaire aux angles arrondis – ainsi que sa grille d’icônes sur fond noir et les effets de zoom et de rebond de son interface. Lors de ce second procès, il est intéressant de noter que Samsung ne niait même pas le fait d’avoir copié Apple.
En fait, le litige ne portait que sur la somme due par le coréen au californien qui réclamait près d’un milliard de dollars de dommages-intérêts. Toute la question était de savoir si Samsung devait reverser l’intégralité des bénéfices issus de la vente des appareils incriminés – d’ailleurs retirés du commerce depuis – ou seulement une partie puisque le plagiat ne portait que sur des composants du produit.
On sait désormais qu’entre le milliard demandé par Apple et les 28 millions proposés par Samsung, la Justice a tranché et ce sont 539 millions de dollars que devra payer la marque asiatique, peine plus lourde que celle de 2011. De cette décision – rendue par un juge californien au profit d’une firme californienne – il est possible de retenir plusieurs enseignements.
Dans un premier temps, la décision rappelle le fait que le design d’un produit utilitaire puisse être protégé par un titre de propriété intellectuelle. Ce n’est pas tout à fait une nouveauté, puisque certains citent comme précédent l’appropriation par Coca Cola de la forme de sa bouteille. Le vrai débat concernant cette affaire est de savoir si un téléphone mobile peut ou non constituer un objet de design, ce qu’Apple soutient, bien entendu. La réponse à la controverse sera donc positive, ce qui ne manquera pas de soulager les autres acteurs du design.
De même, et au-delà du simple aspect extérieur et esthétique du produit, c’est bel et bien son fonctionnement, c’est-à-dire son interface (grilles d’icônes sur fond noir et effets de zoom et de rebond) qui est protégé par patent design. Il y a donc un double degré de protection du terminal : son aspect extérieur et son fonctionnement, qui correspond respectivement à deux titres : le patent design et l’utility patent qui peuvent être demandés simultanément pour une seule invention mais ne protègent pas les mêmes éléments1.
Enfin, et d’un point de vue plus économique, on retiendra qu’une telle affaire aura une répercussion beaucoup plus large qu’un banal duel sur le champ de la propriété industrielle entre deux géants de l’informatique. En effet, la procédure aura mis à jour des informations concernant l’iPhone 6, informations potentiellement dommageables pour Apple. Il a ainsi été révélé que l’iPhone 6 avait 3,3 fois plus de chance de se plier que l’iPhone 5s et 7,2 fois plus que l’iPhone 5. En plus de ce problème de fragilité, il existe un problème de sensibilité tactile (la « touch diseasemanque de transparence de la firme à la pomme »). Or ces informations ont permis au grand public de constater le , ce qui pourrait lui coûter cher dans l’opinion publique, puisqu’elle avait connaissance de ces défauts. De plus, des clans se sont créés autour des deux protagonistes, mettant en exergue des intérêts divergents : c’est ainsi que Samsung est soutenu dans son combat par de grandes firmes telles que Google, Facebook, Dell et HP tandis que son rival est soutenu par les acteurs du design, qui sont bien sûr intéressés à l’issue du procès.
Financièrement, la firme coréenne aura peut-être à regretter d’avoir contesté la décision de 2011, mais du point de vue de l’image, celle de son concurrent californien semble avoir été écornée par la procédure, ce qui sur le long terme pourrait finalement profiter à Samsung. Laquelle ne manquera sans doute pas de former une contestation de la décision du 24 mai dernier. A la guerre comme à la guerre…
1 Le patent design ne protège que l’apparence ornementale, tandis que l’utility patent ne protège que les caractéristiques fonctionnelles de l’invention. Le patent design se rapproche donc plus du dessin et modèle français, et l’utility patent se rapproche du brevet au sens du droit français.