Le droit de possession personnelle antérieure PPA est un principe juridique très important car il assure une juste reconnaissance du travail accompli par différents inventeurs d’une même invention. C’est à la fois une limite au droit du breveté et, une dynamique nécessaire dans le cadre de la recherche et du développement. La technologie Blockchain sera sans aucun doute d’une grande aide pour tous ceux qui souhaiteront prouver les travaux antérieurs non divulgués, et se protéger ainsi contre de possibles actions en contrefaçon dans de nombreux pays du Monde.
Une personne qui crée une invention peut faire le choix de ne pas la divulguer ou de ne pas la protéger par un brevet. Cependant, les grands esprits ne se rencontrant pas toujours, une personne déposant un brevet peut faire face à une tierce personne ayant précédemment créé la même invention sans la divulguer, ni la déposer.
Autrement dit, si l’inventeur A ne dépose ni ne divulgue son invention et qu’un inventeur B découvre, indépendamment, la même invention et dépose ensuite un brevet sur celle-ci, qu’advient-il de l’inventeur A ? Se pose ainsi la question du droit du premier inventeur non déposant.
Pour comprendre l’intérêt de cette problématique, il convient de rappeler que l’une des finalités du système juridique du brevet est de reconnaitre un monopole à un inventeur qui a usé de temps et de travail pour innover. Ainsi, le brevet entend stimuler les inventeurs en leur accordant un monopole de 20 ans sur l’objet du brevet afin d’encourager le développement économique et industriel.
Il convient cependant de souligner que toute faveur accordée au premier inventeur, non déposant, interviendra au détriment du second, détenteur du brevet. Refuser au premier inventeur tout crédit pour le temps passé à innover reviendrait à contredire cet objectif. Toutefois, en accorder trop réduirait aussi le droit du breveté ultérieur sur cette même invention. De plus, la restriction du privilège accordé à l’inventeur non déposant est nécessaire car ce dernier n’a pas voulu partager son savoir en gardant son invention secrète, au contraire de l’inventeur déposant.
Afin d’assurer une balance entre ces deux protagonistes, la possession personnelle antérieure a été créée. Ce principe juridique vise à protéger la situation de l’inventeur qui n’a pas divulgué.
Ce droit est spécifique au domaine des brevets. En droit des dessins et modèles, par exemple, il n’existe pas d’équivalent au droit de possession personnelle antérieure. Toute personne ayant créé un dessin ou un modèle sans l’avoir divulgué ou protégé, ne peut bénéficier d’aucun droit sur ce même dessin ou modèle déposé ultérieurement par une autre personne. Ainsi, après le dépôt, les seules exceptions à une action en contrefaçon sont prévues par les articles L 513-6 à L 513-8 du Code de la propriété intellectuelle (ci-après « CPI ») mais ne concernent en aucun cas un véritable droit de possession personnelle antérieure. Cette absence pourrait se justifier par le fait que les investissements réalisés, dans le cadre d’une invention susceptible d’être brevetée, sont généralement plus importants que ceux nécessaires pour la réalisation d’un dessin ou un modèle.
La possession personnelle antérieure est souvent complexe à prouver, et la question est posée le plus souvent dans un contexte conflictuel. C’est ici que la fonction probatoire de la technologie Blockchain peut s’avérer particulièrement utile (en particulier la Blockchain Bitcoin, blockchain publique vérifiable par tous et à tout moment). De plus, cette technologie, internationale par nature, peut permettre d’établir une possession personnelle antérieure dans les nombreux pays du monde qui connaissent ce concept (par ex. l’Allemagne, l’Autriche, le Brésil, le Canada, la Chine, le Danemark, les États-Unis d’Amérique, le Japon ou encore le Royaume-Uni.)
Rappelons que lorsqu’une personne a développé une invention mais ne l’a pas divulguée et, que cette même invention fait l’objet d’un dépôt par une autre personne, c’est seulement cette dernière qui sera protégée au titre du droit des brevets, selon le principe du droit du premier déposant (art. L 611-6 alinéa 2 du CPI).
Quid cependant de la situation du premier inventeur non déposant ?
L’article L 613-7 du CPI dispose que : « Toute personne qui, de bonne foi, à la date de dépôt ou de priorité d’un brevet, était, sur le territoire où le présent livre est applicable en possession de l’invention objet du brevet, a le droit, à titre personnel, d’exploiter l’invention malgré l’existence du brevet. Le droit reconnu par le présent article ne peut être transmis qu’avec le fonds de commerce, l’entreprise ou la partie de l’entreprise auquel il est attaché ».
Pour que la possession soit constituée, 5 conditions doivent être réunies.
Toute personne peut être bénéficiaire de la possession. Il peut en exister plusieurs, peu importe leur condition juridique (personne physique, personne morale de droit privé ou de droit public), ou bien leur nationalité.
Le bénéficiaire peut aussi bien être le créateur initial de l’invention en cause, un créateur ultérieur indépendant, mais il peut aussi s’agir du destinataire d’une information versée au titre d’un contrat (ex : contrat de travail).
Le bénéficiaire doit aussi être de bonne foi. Sera considéré de mauvaise foi le bénéficiaire prétendu à la possession personnelle antérieure qui a possédé l’invention en raison de ses relations contractuelles avec le breveté ultérieur. A titre d’exemple, les contrats de travail ou de recherche ainsi que les clauses de perfectionnement dans les contrats de licence de brevet interdisent à leurs débiteurs d’invoquer une possession personnelle antérieure.
La possession doit être constituée au jour du dépôt du brevet.
Avant le dépôt du brevet, la personne qui a la détention intellectuelle de l’invention peut l’exploiter, la transmettre, la communiquer mais, à compter du dépôt, elle ne peut que l’exploiter personnellement.
Si la possession a été régulièrement constituée avant le dépôt du brevet, il n’est pas possible de perdre le bénéfice de cette possession après le dépôt du brevet.
Si la priorité est revendiquée, il est nécessaire que la possession ait été constituée antérieurement à la date de priorité. La possession qui serait postérieure à la date de priorité mais antérieure à la date de dépôt ne sera pas prise en compte.
Il n’est pas possible de constituer une possession à l’étranger. La possession doit être constituée sur le territoire français.
La possession doit avoir été secrète. En effet, si le possesseur a divulgué l’invention à des personnes non tenues par une obligation de confidentialité ou, s’il accomplit des actes d’exploitation susceptibles de dévoiler l’invention avant le dépôt du brevet, le brevet est invalide pour défaut de nouveauté (article L 613-25 et L 611-10 du CPI). Toutefois, toute information n’est pas nécessairement capitale. Ainsi, c’est seulement si l’information transmise a placé l’invention dans l’état de la technique que le brevet ultérieurement déposé est invalide. Dans ce cas précis, la possession personnelle n’a pas lieu d’être.
Il existe des divergences jurisprudentielles et doctrinales sur le fait de savoir si le terme « possession » utilisé dans l’article L 613-7 du CPI correspond à la connaissance de l’invention (et non une simple idée), l’usage antérieur de l’invention, les préparatifs sérieux de l’invention ou la maitrise industrielle de l’invention. Il convient simplement de souligner que retenir la preuve d’une maitrise industrielle semble plus judicieux. En effet, ce choix serait en harmonie avec la lecture de l’article L 613-7 du CPI qui exige une possession antérieure « sur le territoire français », ce qui suppose qu’il y ait plus qu’une connaissance intellectuelle, laquelle serait trop abstraite à envisager.
La personne souhaitant bénéficier de la possession personnelle antérieure doit être en possession de l’invention brevetée. Considérer l’invention en elle-même n’est pas complexe. Si l’invention est un objet physique, il suffira de le visualiser pour attester de la possession.
La vraie difficulté réside dans les revendications du brevet car leur rédaction est susceptible d’évoluer au cours du processus de délivrance du brevet. C’est à l’état terminal des revendications qu’il conviendra de déterminer l’objet de la possession.
Il faut donc distinguer deux situations :
Il doit y avoir une identité entre l’objet possédé et l’objet du brevet. Toutefois, l’identité ne doit pas nécessairement être complète (ex : elle ne peut porter que sur certaines revendications) ni totale (ex : la jurisprudence reconnait la pertinence des équivalents[1])
Toute personne souhaitant revendiquer la possession personnelle antérieure doit prouver par tous moyens la réunion de toutes les conditions précédemment exposées.
Parmi les différents modes de preuve, il existe l’enveloppe Soleau, déposée auprès de l’INPI, un cahier de laboratoire, le dépôt auprès d’un notaire, d’huissier, etc…
La technologie Blockchain Bitcoin devrait sans aucun doute connaitre un très fort développement dans les prochains mois et années pour prouver une possession personnelle antérieure. Cette technologie assure dans des conditions qui préserve de façon absolue la confidentialité de l’invention une preuve rapide et peu onéreuse. Rappelons en effet que le calcul de l’empreinte numérique du document, preuve de l’invention, en vue d’un ancrage Blockchain, est réalisé sur le navigateur de l’utilisateur lui-même et non au niveau de l’intermédiaire donnant accès à la blockchain. Rappelons également que seule cette empreinte numérique est ancrée dans la Blockchain par une inscription dans une transaction ; le document source n’est jamais enregistré dans la Blockchain ; sa confidentialité est donc totalement préservée à l’égard des tiers.
L’inventeur peut donc protéger avec la Blockchain Bitcoin une invention non divulguée sans avoir à la dévoiler à quiconque, pas même à un tiers de confiance.
Le possesseur répondant à toutes les conditions précédemment exposées peut exploiter l’invention malgré l’existence du brevet.
En principe, le possesseur a les mêmes droits que le breveté. Par conséquent, il peut, selon l’article L 613-3 du CPI, effectuer des actes d’utilisation d’un procédé, des actes de fabrication, d’utilisation et de commercialisation du produit fabriqué selon l’invention.
Il n’existe de ce fait aucune limite aux droits du possesseur. Toutefois, la possession étant personnelle, le possesseur ne pourra concéder à des tiers de licences d’exploitation.
Par ailleurs, il convient de rappeler que le possesseur n’est soumis à aucune charge ou obligation, il n’a aucune redevance ou annuité à payer.
Le possesseur peut invoquer l’exploitation de l’invention aussi bien auprès du breveté que des cessionnaires ou licenciés du brevet. Le droit de possession personnelle autorise le possesseur à faire obstacle à l’action en contrefaçon engagée contre lui.
Les bénéficiaires initiaux sont les auteurs ou les destinataires d’informations qui seront le fondement ultérieur du brevet déposé.
Une difficulté peut apparaitre dans le cas de groupes de sociétés quand le possesseur personnel de l’invention fait partie de l’une d’entre elles. Prenons un exemple.
Si une société A répartit ses différents exercices dans des établissements distincts E1 et E2 et que l’établissement E1 est le seul en charge de la recherche et développement, la société toute entière peut en principe bénéficier de la possession née de l’invention découverte par l’établissement E1. En revanche, si une société A et une société B appartiennent au même groupe mais sont juridiquement totalement indépendantes, ce qui est développé par la société A ne bénéficiera pas à la société B.
Il est important de garder à l’esprit que la possession personnelle antérieure est analysée en fait. Ainsi, si la société A inventeur dépose une enveloppe Soleau en mettant le nom de la société B comme co-inventeur et si en réalité la société B n’a pas participé à l’élaboration de l’invention, elle ne sera pas bénéficiaire de la possession. Une déclaration de possession ne crée par la possession. .
La possession personnelle antérieure peut bénéficier à des personnes qui n’étaient pas possesseurs à l’origine, mais qui vont le devenir. La possession doit cependant rester en lien avec l’activité économique dont elle est issue.
Un possesseur personne physique engageant des activités industrielles au titre d’une société commerciale permet à cette dernière de bénéficier de cette possession. Si la personne physique, possesseur personnel, est titulaire d’un fonds, en cas de cession du fonds, la possession est cédée avec lui.
Lors d’opérations liées à une société commerciale (apport partiel d’actif, fusion, scission etc.), l’objectif est en quelque sorte le même. Il faudra donc toujours vérifier à quelle partie de l’entreprise la possession était initialement rattachée, afin qu’elle la suive, tout comme le fonds de commerce. Elle ne pourra donc jamais être cédée isolément.
Le bénéficiaire direct peut souhaiter, après le dépôt du brevet, associer d’autres personnes à l’exploitation de l’invention.
Pour le sous-traitant, la question est assez complexe. Le sous-traitant offrant une reproduction de l’invention est considéré comme contrefacteur et ne peut pas bénéficier d’une exonération de responsabilité par le fait qu’il agisse pour le compte du possesseur. Le caractère personnel de la possession justifie cette limite. En revanche, le sous-traitant simplement fournisseur de moyen n’est pas considéré comme contrefacteur s’il est habilité par le possesseur.
Les distributeurs, quant à eux, ne seront fautifs que s’ils ont connaissance du caractère contrefaisant des biens utilisés ou commercialisés.