Mardi dernier, le Gouvernement reconnaissait la valeur probatoire de la technologie blockchain dans une réponse ministérielle. Retour pratique sur l’historique de la force de preuve de cette technologie.
La technologie blockchain qui consiste en un registre décentralisé (dit registre distribué), permet notamment de stocker des informations de manière pérenne et infalsifiable. C’est aussi la date « d’ancrage » dans le registre qui est infalsifiable, ce qui a de nombreux avantages de la domaine de la preuve de date certaine par exemple.
Justement, en droit français, rien n’empêche a priori l’admission par les juges de la preuve blockchain. En effet, comme le précise d’ailleurs la réponse ministérielle, le principe posé par l’article 1358 du Code civil est celui de la liberté de la preuve des faits juridiques, c’est-à-dire des évènements (volontaires ou non) pouvant produire des effets de droit et qui font naître des droits ou des obligations.
Par exemple, la création artistique est un évènement, qui peut produire des effets de droit en conférant au créateur des droits sur son œuvre (comme le droit d’auteur) : la création artistique est donc un fait juridique et se prouve par tout moyen.
Plus largement, concernant la preuve des actes juridiques (c’est-à-dire la manifestation de la volonté d’une personne de créer des effets de droit), la preuve en est libre lorsque l’acte n’excède pas 1 500 euros. Au-delà, un écrit sera nécessaire. Mais cet écrit pourra résulter d’un écrit électronique issu d’une blockchain, puisque la loi (article 1366 du Code civil) interdit la discrimination entre les écrits papier et les écrits électroniques.
Il est donc possible de le voir : le droit français, quand bien même il ne mentionne la technologie nulle part, permet parfaitement l’admission de la preuve par blockchain. Certains parlementaires ont toutefois souhaité lui conférer une place symbolique en lui reconnaissant expressément une force probante légale.
Mais mardi dernier, le gouvernement s’est prononcé en faveur de la preuve blockchain.
Questionné fin juillet sur l’opportunité d’inscrire et de reconnaître légalement la force probante de la technologie, le gouvernement a répondu en plusieurs temps.
En effet, la réponse ministérielle commence par rappeler le principe de liberté de la preuve des faits juridiques. Puis la réponse indique que la preuve blockchain est admissible devant le juge, qui apprécie souverainement sa force probante, suivant en cela le droit commun de la preuve et traitant la preuve blockchain comme tous les autres moyens de preuve.
Ainsi, si la valeur probante de la blockchain n’est pas aujourd’hui reconnue expressément par la loi, le gouvernement a choisi d’envoyer un message très fort dans le sens d’une telle reconnaissance, laquelle permettrai à la France de s’aligner sur d’autres Etats ayant déjà procédé à une reconnaissance étatique de cette force probante.
Cette reconnaissance est la bienvenue, puisqu’elle permet à la France de commencer à combler son retard sur d’autres Etats comme la Chine ou l’Italie.
En effet, le Tribunal internet de Hangzhou a reconnu la validité d’une preuve blockchain lors d’un litige de contrefaçon. Une société publicitaire chinoise avait en effet fait constaté judiciairement une violation de ses droits de propriété intellectuelle sur le site internet d’un concurrent en prouvant ses prétentions grâce à des dépôts blockchain.
Plus récemment, l’Italie a validé l’horodatage blockchain comme moyen de preuve par une loi du 11 janvier 2019. Peut-être la France suivra-t-elle cet exemple ; le Gouvernement n’y étant manifestement pas opposé. D’ailleurs des indices d’une volonté de consacrer la blockchain comme preuve s’était fait jour en septembre de l’an passé, sous la forme d’un amendement parlementaire au projet de loi PACTE.
En septembre 2018, le député Jean-Michel MIS déposait un amendement au projet de loi PACTE, amendement qui vise à consacrer légalement la force probante de la blockchain. Il s’agissait alors d’instituer une présomption simple de validité de la preuve blockchain. Entre autres dispositions portant sur l’usage de la technologie pour les ICO (Initial Coin Offering), l’amendement probatoire était rédigé en ces termes :
« Après l’unique alinéa de l’article 1358 du code civil, insérer un alinéa ainsi rédigé :
A cet effet, tout fichier numérique enregistré dans un dispositif électronique d’enregistrement partagé (DEEP), de nature publique ou privée vaut preuve de son existence et de sa date, jusqu’à preuve contraire, dès lors que ledit DEEP répond à des conditions définies par décret ».
L’idée était donc d’envoyer un signal fort démontrant la volonté de faire de la technologie Blockchain une preuve en tant que telle et de mettre fin aux polémiques la concernant, ainsi que de faire de la France un pays précurseur en la matière. N’ayant pas été jugé comme une priorité absolue (d’autant que la loi permettait déjà l’admissibilité de la preuve blockchain), l’amendement n’a finalement pas été adopté. Les efforts des parlementaires n’auront pour autant pas été vains, puisque le Gouvernement se tourne aujourd’hui vers une telle reconnaissance. En attendant la consécration légale ? Affaire à suivre…
Le gouvernement vient de reconnaître l’admission de la preuve par blockchain.