Le système de brevet européen comporte des avantages et doit sans doute être applaudi pour le travail d’harmonisation à l’échelle européenne qu’il accompli. Toutefois, la multiplicité des procédures engagées devant les juridictions nationales des brevets nuit à la sécurité juridique, entraîne une divergence de jurisprudence en la matière, ainsi qu’un fractionnement du marché des brevets s’accompagnant d’une augmentation des coûts de procédure. C’est pourquoi le pas de géant que constitue la ratification de l’Accord sur la JUB par le Royaume-Uni apporte un regain d’espoir dans le petit monde des brevets d’invention.
Pourtant, l’aventure semblait mal partie et toute une partie du monde professionnel croyait la JUB mort-née (v. l’intervention du Professeur N. Binctin lors de la table ronde « Quelle place pour la Blockchain en droit français de la propriété intellectuelle ? »).
Mais revenons sur les étapes de la construction de la JUB. En 1999, la conférence des membres de l’OEB décidait à Paris de mettre sur pieds un projet de juridiction unifiée du brevet européen1. Le 12 février 2013, un accord relatif à une juridiction unifiée du brevet voit le jour et est signé par 25 Etats membres2, et est ratifié par la France le 24 février 2014. Il était prévu que l’accord entre en vigueur le 1er janvier 2014. A défaut, l’accord entrait en vigueur le premier jour du quatrième mois suivant le dépôt du treizième instrument de ratification ou d’adhésion à condition que parmi ceux-ci se trouvent les instruments de ratification ou d’adhésion des trois pays dans lesquels ont été déposés le plus de brevets, à savoir l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Cet accord n’est toujours pas entré en vigueur à l’heure actuelle, mais les Etats signataires pensent que cela adviendra au cours de l’année 2018. En attendant, un régime transitoire est prévu qui permet aux juridictions nationales de rester compétentes. Le Royaume-Uni ayant contre toute attente ratifié l’accord, l’entrée en vigueur de la JUB n’attend plus que la ratification de l’Allemagne. Il est d’ailleurs possible de consulter la liste des pays ayant ratifié l’accord sur le site internet du Conseil de l’Union Européenne.
Lorsqu’il entrera en vigueur, l’accord mettra en place un centre de médiation et d’arbitrage en matière de brevets, situé à Lisbonne et Ljubljana, un tribunal de première instance, une Cour d’appel, située à Luxembourg et un greffe situé dans les locaux de la Cour d’appel. Le Tribunal de première instance est composé d’une Division centrale (située à Paris), et de Divisions régionales et locales. Les affaires sont réparties entre ces juridictions en fonction de huit sections de spécialités (de A à H, la section H étant par exemple consacrée à l’électricité et la section B aux techniques industrielles et aux transports).
La compétence de la juridiction sera exclusive de celle des juridictions nationales dans les Etats signataires3. La Juridiction Unifiée du Brevet connaitra ainsi, aux termes des articles 32s. de l’accord, de toutes les actions en contrefaçon ou menace de contrefaçon de brevets, des mesures visant à obtenir des mesures conservatoires ou encore des actions en nullité de brevets. Les brevets d’invention concernées sont ici bien sûr les brevets européens et les brevets unitaires européens.
Nombreux sont donc ceux qui attendent avec impatience l’entrée en vigueur de cet accord et l’avènement de cette juridiction internationale.
Cette juridiction serait en effet un grand progrès et permettrait à des Conseils en propriété industrielle (CPI), ingénieurs de formation, de plaider devant cette juridiction, ce qui n’est pas sans laisser indifférents les avocats spécialisés, qui, aux dires de certains professionnels, exercent un lobbying contre l’entrée en vigueur d’une telle juridiction.
Pourtant, le projet de juridiction unifiée emportera des avantages à la fois sur le plan juridique et sur le plan économique.
Par la centralisation des litiges devant une Cour unique, la jurisprudence en matière de contentieux des brevets sera unifiée et les solutions réellement harmonisées à une échelle européenne. L’insécurité découlant des divergences d’interprétation des différentes Cours nationales sera donc bannie, ce qui ne pourra qu’encourager l’innovation et le dépôt de brevets. De même, les décisions de la Juridiction Unifiée du Brevet (tant en matière d’injonctions que de dommages-intérêts) trouveront à s’appliquer dans toute l’Union Européenne. Enfin, durant toute la durée de vie du brevet, une action centrale en nullité, distincte de la procédure de l’opposition de l’OEB, sera ouverte aux tiers.
Outre ces avantages juridiques non-négligeables, il faut aussi mettre en exergue les avantages économiques inhérents à la centralisation du contentieux : le justiciable n’aura pas à mener des procédures parallèles dans plusieurs Etats pour un même contentieux, mais engagera une unique procédure devant la Juridiction Unifiée, réalisant ainsi de substantielles économies sur le plan procédural, ainsi qu’un gain de temps et d’énergie appréciable.
Au-delà des avantages incontestables qui viennent d’être évoqués, le dispositif de la Juridiction Unifiée du Brevet semble déterminant pour l’entrée en vigueur d’un système inédit en propriété industrielle : le Brevet unitaire européen, dernière étape de l’intégration régionale en la matière. Il est en effet prévu par les règlements de l’UE n°1257/2012 et n°1260/2012 que ce dispositif entre en vigueur en même temps que la Juridiction Unifiée.
1 Pour un historique détaillé des évolutions, v. Répertoire de droit européen, Brevets, J. Schmidt-Szalewski et C. Roda, Dalloz, juin 2014, actualisation mai 2017, § 170.
2 Tous les Etats de l’UE sauf la Croatie, l’Espagne et la Pologne
3 Pour une étude détaillée de la composition et des règles de compétences complètes de la JUB, qu’il est impossible d’exposer exhaustivement ici, v. Répertoire de droit européen, Brevets, J. Schmidt-Szalewski et C. Roda, Dalloz, juin 2014, actualisation mai 2017, § 184s.