Le 12 septembre dernier, les députés européens adoptaient le texte de la Directive européenne sur le droit d’auteur, par 438 voix contre 226, au terme d’une véritable bataille entre ses partisans et ses farouches détracteurs. L’histoire du texte a en effet été on ne peut plus mouvementée.
Initialement destinée à adapter le droit d’auteur à l’ère du numérique, la directive européenne avait donc pour but de rénover la loi européenne encadrant le droit d’auteur, devenue obsolète au regard des évolutions du Web, dont la plus notable semble être la prédominance d’un petit nombre d’acteurs, géants du web, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon…).
Le projet de directive avait été présenté pour la première fois par la Commission européenne en 2016, mais le jeudi 5 juillet 2018, le Parlement européen en séance plénière rejette le mandat de négociation de la commission des affaires juridiques, dans un vote serré (318 voix contre 278). Deux camps s’opposent alors : d’une part des associations d’utilisateurs qui s’insurgent contre le risque de censure automatique représenté par la directive ; d’autre part, des plateformes d’hébergement et des sociétés d’ayants droit qui voient dans cette directive l’occasion de faire respecter les droits trop souvent bafoués de l’auteur.
Toujours est-il que suite au rejet du mandat de négociation, tous les parlementaires – et non uniquement ceux de la commission des affaires juridiques – ont pu déposer des amendements sur le texte. Dès lors, deux dispositions prêtaient particulièrement à polémique et ont fait l’objet d’un lobbying intense tant du côté des partisans de la directive que de celui de ses opposants.
Ces deux dispositions, articles 11 et 13 du projet de directive, ont fait l’objet d’une lutte acharnée entre opposants de partisans en raison des lourds enjeux en matière de liberté d’expression et de protection de la création.
L’article le moins modifié par le texte récemment adopté est l’article 11 traitant du « droit voisin » des éditeurs de presse. C’est pourtant l’un des plus controversés et des plus critiqués. Il prévoit ainsi de donner le droit aux média éditeurs de contenu de réclamer de l’argent aux plateformes qui diffusent des extraits de contenu accompagnés d’un lien hypertexte. Cela pose la question du fonctionnement même du web, les plateformes numériques préférant souvent fermer leurs services que de payer les éditeurs de contenu, réaction désastreuse pour la libre circulation de l’information. Toutefois, les liens hypertextes ne sont pas concernés par ce droit voisin, ce qui est conforme à la jurisprudence de la CJUE (CJUE 21 octobre 2014, BestWater), puisque seul le texte accompagnant le lien (le « spinnet ») est soumis à cette disposition.
Si cet article a été très peu modifié par rapport au texte initial, l’article prévoyant le devenir des contenus culturels hébergés sur Internet (article 13) a été sensiblement modifié par une proposition d’amendement présentée par Axel Voss, rapporteur du texte.
L’article 13 de la directive prévoyait initialement la mise en place, obligatoire pour les plateformes, d’un filtrage automatique des contenus audiovisuels protégés. C’est l’exemple de l’algorithme ContentID de Youtube, qui bloquait automatiquement la publication non-autorisée des contenus illicites. Ce genre de programme, décrié, aurait constitué un risque de censure déshumanisée a priori, mais a été abandonné par la directive adoptée le 12 septembre. La portée de la réforme est donc amoindrie, ce qui permet toutefois d’éviter une polémique supplémentaire.
En l’état actuel du texte, il est donc prévu que les plateformes aient une obligation de négocier des contrats avec les ayants droit des œuvres culturelles hébergées, contrats concernant la rémunération desdits ayants-droit. Cette pratique existait déjà, même si force était de constater que ces accords se faisaient le plus souvent au détriment des ayants-droit. A défaut d’accord ayants-droit et plateformes, ces dernières devront bloquer la parution des contenus jugés illicites, mais en évitant au maximum les blocages algorithmiques de type ContentID.
Toutefois, les règles posées par ce nouveau texte ne sont pas tout à fait prêtes pour devenir le droit positif.
En effet, trois institutions européennes (le Parlement européen, le Conseil de l’Union Européenne et la Commission européenne) devront maintenant, lors des négociations interinstitutionnelles appelées phase de « trilogue », parvenir à un compromis qui pourra être adopté par le Parlement et le Conseil.
De plus, une fois ce texte de compromis définitivement adopté au niveau européen, il restera aux Etats membres à le transposer en droit national, n’étant liés que par le but, mais non par les moyens à employer. Nous n’avons décidément pas fini d’entendre parler du droit d’auteur sur Internet…