Au sein des droits de propriété intellectuelle que connait le droit français, on distingue communément entre les droits enregistrés et les droits non-enregistrés. En la matière, la technologie blockchain peut apporter une plus-value en termes de preuve…
La différence entre les droits de propriété intellectuelle enregistrés et les droits de propriété intellectuelle non-enregistrés est fort simple. En effet, les droits enregistrés font l’objet d’un dépôt auprès d’un office, et se matérialisent dans un titre de propriété. Ainsi, les brevets d’invention, les marques, les dessins et modèles, les certificats d’utilités sont les titres de propriété intellectuelle les plus communs et sont donc des droits enregistrés. Pour tous ces droits, une administration se charge d’examiner la demande du déposant puis, si les conditions de protection sont réunies, délivre le titre qui est constitutif de droit.
En France, cet office administratif est l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), tandis qu’au niveau de l’Union Européenne, il s’agit de l’OUEPI (Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle) ou l’OEB (Office Européen des Brevets) qui délivre les titres communautaires.
De leur côté, les droits de propriété intellectuelle non-enregistrés comptent les droits de propriété intellectuelle qui ne font pas l’objet d’un dépôt et d’un titre constitutif de droit. C’est en premier lieu le cas du droit d’auteur, qui s’acquière du simple fait de la création, sans aucune formalité (art. L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle). Mais tel est aussi le cas des savoir-faire, des secrets d’affaires, qui tout en étant des actifs immatériels, ne bénéficient pas d’un enregistrement auprès d’un office.
Lorsqu’il s’agit de prouver la date de protection du droit de propriété intellectuelle, il est plus aisé de produire le titre – qui est daté – que de prouver la date de création d’une œuvre, qui par définition, n’est pas déposée.
Traditionnellement, on prouve la création d’une œuvre par un faisceau d’indices. Parmi ceux-là, se trouvent les croquis datés, les plans, les ébauches, les agenda, les calendriers, les cahiers de laboratoires. Parfois, les œuvres – notamment musicales – sont déposées auprès d’organismes de gestion, ce dépôt n’ayant pas une visée constitutive de droit mais un but de répartition des revenus tirés de l’exploitation des œuvres. Néanmoins, ce dépôt peut servir de preuve d’une date, bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement de la date de création. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans les pays anglo-saxons, les œuvres sont déposées dans un office du copyright, si bien que la difficulté probatoire qui se pose en France ne se pose pas dans ces pays-là.
En pratique donc, la date de création d’une œuvre se prouve par faisceau d’indices, si bien qu’il apparait plus probable à un juge que l’œuvre ait été créée à telle date plutôt qu’à une autre. Mais un tel faisceau peut se révéler incertain, et à plusieurs égards. Tout d’abord, il faut que le créateur ait pensé à se ménager une preuve de son travail et de sa création, en conservant les brouillons ou ses croquis par exemple. En outre, même si les croquis ou les brouillons sont datés, rien ne permet d’être certain que la date alléguée soit la bonne : la création ou l’élément de preuve aurait très bien pu être antidaté ou au contraire postdaté par le créateur pour les besoins de la cause. Enfin, il peut parfois être difficile pour le juge de voir clair dans l’ensemble hétéroclite que lui présente le plaideur. En effet, une part d’incertitude est inhérente à ce système probatoire, puisqu’il reviendra au magistrat de déterminer à partir de quel stade sa conviction quant à la date est emportée. C’est justement en cela que des techniques comme l’enveloppe Soleau ou la technologie blockchain apportent une clarification et une simplification bienvenues de la manière de prouver la date des droits non-enregistrés.
La technologie blockchain fonctionne comme un registre décentralisé et inaltérable. En effet, elle permet, très simplement, d’horodater un document, peu important son format : ce peut être un fichier texte, son, image, vidéo, fichier numérique 3D, etc… Concrètement, une empreinte numérique du document est calculée, empreinte unique et inintelligible. Celle-ci, comme l’empreinte digitale d’une personne, permet d’identifier le document par comparaison. Or à l’empreinte unique est associée une date infalsifiable et inaltérable, qui est ancrée dans la chaîne avec l’empreinte (qu’on appelle le hash).
Pour prouver la date d’un document, il suffit de « hasher » ce document (i.e. le faire passer dans la fonction de hashage SHA 256 ayant permis d’obtenir la première empreinte). On obtient donc une seconde empreinte qui, si le document source n’a pas été modifié, correspondra en tout point à la première empreinte. Il sera ainsi possible d’en déduire que le document source existait en l’état à la date d’ancrage du premier hash.
L’utilisation de la technologie blockchain pour prouver la date d’une œuvre ou de tout autre droit de propriété intellectuelle non-enregistré présente plusieurs avantages. Tout d’abord, la technologie – et la preuve qui en découle – est internationale par nature, si bien que la même preuve est potentiellement admissible partout dans le monde. De plus, son caractère économique d’utilisation permet de l’utiliser tout au long du processus de création, pour une protection « au fil de l’eau ». Chacune des étapes du processus pourra être ancrée dans la blockchain pour y être horodatée : le premier croquis, la première épreuve 3D, le fichier numérique, le prototype, etc…
Après avoir vu ce qu’est la blockchain, il faut aussi voir ce que la blockchain n’est pas : en effet, bien qu’il s’agisse d’un registre, il ne faut pas se méprendre et la considérer comme un substitut des offices délivrant les titres. Ainsi, pour l’obtention d’un brevet ou d’une marque, il ne suffira pas d’ancrer l’invention ou le signe dans la blockchain pour être ipso facto revêtu d’un droit de propriété industrielle. Ainsi l’usage de la blockchain est un usage probatoire, la technologie n’ayant vocation à remplacer ni les offices ni les modes de preuves traditionnels, auxquels elle se combine.