La technologie blockchain a indéniablement des avantages en matière de protection probatoire des droits de propriété intellectuelle non-enregistrés. Pour autant, il ne faut pas nier à cette technologie toute utilité concernant les droits enregistrés tels que le brevet d’invention. En effet, la phase pré-dépôt de la demande de brevet se trouvera couverte par l’utilisation d’une solution blockchain, qui pourra d’ailleurs servir à protéger certains périphériques du brevet, comme le savoir-faire.
La technologie blockchain permet, très simplement, d’horodater un document, peu important son format : ce peut être un fichier texte, son, image, vidéo, fichier numérique 3D, etc… Concrètement, une empreinte numérique du document est calculée, empreinte unique et inintelligible. Celle-ci, comme l’empreinte digitale d’une personne, permet d’identifier le document par comparaison. Or à l’empreinte unique est associée une date infalsifiable et inaltérable, qui est ancrée dans la chaîne avec l’empreinte (qu’on appelle le Hash).
Pour prouver la date d’un document, il suffit de « Hasher » ce document (i.e. le faire passer dans la fonction de Hashage SHA 256 ayant permis d’obtenir la première empreinte). On obtient donc une seconde empreinte qui, si le document source n’a pas été modifié, correspondra en tout point à la première empreinte. Il sera ainsi possible d’en déduire que le document source existait en l’état à la date d’ancrage du premier Hash.
Certains ont pu penser que la blockchain, en tant qu’elle est un registre décentralisé, allait pouvoir servir à l’inscription sécurisée des titres de brevet d’invention. Il n’en est rien. En effet, ce serait oublier que le brevet d’invention est un titre délivré par l’administration (l’INPI en France), que la blockchain n’a pas vocation à remplacer.
A y regarder attentivement, l’usage probatoire de la blockchain et la délivrance du titre de brevet d’invention ne se trouvent pas sur le même plan. En effet, alors que le titre du brevet intervient pour protéger une invention dans sa globalité, et une fois le processus d’innovation entièrement réalisé, la technologie blockchain permet une protection plus fine, tout au long du processus d’innovation. En effet, il est possible d’ancrer – et donc d’obtenir une preuve de datation – tout document depuis le premier schéma de l’invention jusqu’aux prototypes en fichier 3D. Cela ne remplace pas l’obtention d’un brevet (puisque bien entendu la blockchain n’est pas constitutive de droit), mais permet de s’assurer une date certaine. C’est ainsi qu’en complément du dépôt d’une demande de brevet, il peut être utile d’utiliser la blockchain en amont, durant la phase d’avant-dépôt.
En la matière, la blockchain aura tendance à jouer le rôle d’un cahier de laboratoire, en ce qu’elle permettra de noter toute les avancées et chaque étape de la progression des travaux. Sur les cahiers de laboratoire, chaque page est numérotée, datée et signée, et l’arrachage est détectable. Sur la blockchain, chaque transaction est datée, et impossible « d’arracher des pages » : la technologie rappelle le fonctionnement du cahier de laboratoire, et recouvre les mêmes utilités en matière de preuve et d’aide à la rédaction d’un brevet. Si la blockchain n’a pas non plus vocation à remplacer les cahiers de laboratoire, elle peut néanmoins se montrer précieuse : elle demeure si les cahiers sont détruits, perdus, endommagés, volés… une utilisation conjointe est donc conseillée !
Le savoir-faire, que l’on peut définir comme les informations ou les connaissances qui ne sont pas protégées par un brevet et qui permettent la fabrication de produits ou services, tiennent une place capitale dans le marché de l’innovation. Les savoir-faire représentent en effet une grande partie de la valeur des entreprises innovantes.
Stratégiquement, le fait de conserver des connaissances sous le sceau du savoir-faire sans déposer un brevet permet de ne pas les divulguer. En effet, le brevet d’invention confère un monopole d’exploitation durant 20 ans, mais cette protection n’intervient qu’en contrepartie d’une divulgation de l’invention. Rien de tel avec le savoir-faire, qui n’est pas divulgué. Mais alors, en l’absence de titre, comment protéger son savoir-faire ? Celui-ci n’est pas susceptible d’appropriation, si bien que le titulaire du savoir-faire devra agir sur le terrain de le responsabilité civile, lors d’une action en concurrence déloyale. Le droit pénal protège aussi le savoir-faire par l’infraction de divulgation de secret de fabrique. Mais pour aboutir, le titulaire devra démontrer que le tiers qui a divulgué lui a causé un préjudice indemnisable. Mais pour cela, encore faut-il prouver que le savoir-faire existe.
En effet, il est plus difficile de prouver l’existence et la date du savoir-faire, qui ne dispose pas d’un titre daté délivré par l’administration. C’est d’ailleurs le cas de tous les droits de propriété intellectuelle non-enregistrés, qui ne disposent pas d’un titre. C’est pour cela qu’il faut se montrer prudent et protéger systématiquement son savoir-faire : l’enveloppe Soleau peut être un très bon moyen puisque le contenu en reste secret. La technologie blockchain constitue aussi un atout considérable. En effet, il est possible de s’assurer une preuve à la fois d’existence et de date d’un savoir-faire très simplement et à moindre coût. A aucun moment la confidentialité nécessaire au maniement des savoir-faire n’est mise en cause : seul le hash est ancré dans la blockchain et non le contenu du savoir-faire en lui-même.
Dès lors, il est possible d’imaginer des stratégies juridiques innovantes à l’aide de la blockchain : une invention est protégée au fil de l’eau par des dépôts blockchain jusqu’à la délivrance du brevet. Et en parallèle, le savoir-faire (non breveté) nécessaire à la mise en œuvre concrète de l’invention est lui-aussi ancré dans la blockchain. Cela a un intérêt tout particulier en matière contractuelle, puisqu’alors le breveté sera assuré que, si par malheur le licencié venait à divulguer le savoir-faire transmis dans le contrat de licence conjointement au brevet, il serait en mesure de prouver la date et surtout l’existence dudit savoir-faire. Le breveté aurait alors en main les éléments pour engager une action en responsabilité civile à l’encontre du licencié, ce qu’il n’aurait pu faire que bien plus difficilement sans cette preuve.
La blockchain apparait donc comme un outil complémentaire aux bonnes pratiques traditionnelles de preuve. Cette technologie seconde et renforce les techniques existantes pour une plus grande sécurité juridique.