Les alternatives au brevet

Vincent Fauchoux
Par Vincent Fauchoux
Avocat au barreau de Paris et cofondateur du site BlockchainyouIp. Ancien président de l'association Cyberlex (2005- 2007), il est à l'origine des Rencontres annuelles du Droit de l'Internet.

Une entreprise peut faire le choix d’une solution alternative ou préalable au brevet lorsque celui-ci ne répond pas aux attentes, aux besoins ou encore aux moyens de l’auteur de l’invention. Ces solutions sont :

Protéger son invention avec le certificat d’utilité[1]

Le certificat d’utilité confère la même protection qu’un brevet mais sur une durée limitée de 6 ans. Les critères de validité sont identiques à celles du brevet mais aucune recherche d’antériorité n’est effectuée, permettant ainsi de limiter les frais de dépôt.

Lors du dépôt, le déposant du certificat d’utilité s’acquitte des frais suivants : 36 euros pour un dépôt sous le format papier, 26 euros pour un dépôt sous le format électronique et 86 euros pour la délivrance.

La validité sur certificat est conditionnée par le paiement d’une redevance annuelle de maintien à l’INPI (elles s’échelonnent de 36 € la 2ème année à 72 € la 6ème année – tarifs en vigueur au 1 janvier 2018).

La divulgation volontaire

L’auteur d’une invention peut choisir de divulguer son œuvre afin de la faire tomber dans le domaine public. La conséquence de cet acte est d’interdire toute prise ultérieure de brevet sur cette invention. En revanche, l’innovation de base tombée dans le domaine public pourra servir de point de départ pour des applications susceptibles d’être brevetées par des tiers, pourvu qu’elles ne découlent pas de manière évidente de l’invention divulguée.

Protéger son invention par le secret

Le choix du secret permet à l’entreprise de conserver un avantage concurrentiel évident à condition que le secret puisse être maintenu. L’inconvénient premier de cette solution radicale est de ne pas pouvoir interdire à un tiers de déposer cette même invention qu’il aurait découvert lui-même.

Si le secret semble risqué, le législateur offre différentes possibilités pour tempérer ce risque et faciliter le recours au secret :

1) La protection par le secret de fabrique[2] :

Sont considérés comme des secrets de fabrique les procédés de fabrication d’une certaine originalité qui, bien que d’une hauteur inventive modeste, offrent un avantage concurrentiel pour leur détenteur en ce qu’ils permettent une amélioration de la production ou une diminution du prix de revient[3].

Pour qu’il y ait secret de fabrique il faut encore que le détenteur ait affirmé sa volonté de le cacher par tout moyen raisonnable.

La violation du secret de fabrique constitue un délit dont les peines prévues par le code de la propriété intellectuelle s’élèvent à deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende à l’encontre de tout directeur ou salarié d’une entreprise ayant révélé ou tenté de révéler un tel secret[4].

Des dispositions similaires existent en outre dans le Code du travail[5] et dans le Code pénal[6].

La préservation du secret de fabrique peut aussi passer par des clauses contractuelles liant les salariés de l’entreprise dans une obligation de confidentialité et de non concurrence.

2) La protection du savoir-faire (ou know-how).

C’est une notion d’acception plus large qui comprend le secret de fabrique mais qui va s’étendre aux procédés et autres compétences techniques, industrielles et commerciales dont le secret confère à son détenteur un avantage concurrentiel appréciable.

La notion de savoir-faire est constituée d’informations de toute nature présentant une valeur économique. Il peut s’agir, par exemple, de :

  • procédés de fabrication non brevetés ;
  • méthodes comptables ou de gestion ;
  • techniques commerciales ou de marketing ;
  • principes de management d’entreprise ou de gestion des personnels ;

C’est une information qui est tenue secrète, ou est rendue difficilement accessible aux tiers qui sont prêts à payer pour en connaitre le contenu et en faire l’utilisation. Le savoir-faire peut donc se transmettre. La transmission du savoir-faire se fait par le biais de contrats de transfert de technologie ; elle est également la pièce clef du contrat de franchise.

Il ne peut faire l’objet d’un droit de propriété intellectuelle, sa protection fait donc appel aux règles de droit commun de la responsabilité délictuelle (article 1240 et 1241 du code civil) et quasi-délictuelle.

Il existe des mécanismes contractuels pour réserver le savoir-faire grâce à des clauses de confidentialité du savoir-faire communiqué aux salariés ou aux partenaires, et futurs partenaires, de la société.

3) La possession personnelle antérieure :

Une personne déposant un brevet peut faire face à une tierce personne ayant précédemment créé la même invention sans la divulguer, ni la déposer. Se pose alors la question du droit du premier inventeur non déposant.

Afin d’assurer un équilibre entre ces deux acteurs le principe de la possession personnelle antérieure a été créé.

L’article L613-7 CPI prévoit que :

« Toute personne qui, de bonne foi, à la date de dépôt ou de priorité d’un brevet, était, sur le territoire où le présent livre est applicable en possession de l’invention objet du brevet, a le droit, à titre personnel, d’exploiter l’invention malgré l’existence du brevet. Le droit reconnu par le présent article ne peut être transmis qu’avec le fonds de commerce, l’entreprise ou la partie de l’entreprise auquel il est attaché. »

Pour bénéficier de la PPA l’inventeur doit être de bonne foi. La possession doit être constituée au jour du dépôt du brevet, sur le territoire français et, surtout, elle doit être tenue secrète.

Lorsque ces conditions sont réunies, le possesseur peut exploiter l’invention malgré l’existence du brevet. En principe, le possesseur a les mêmes droits que le breveté. Cependant, la possession étant personnelle, le possesseur ne pourra concéder à des tiers de licences d’exploitation.

Rappelons que lorsqu’une personne a développé une invention mais ne l’a pas divulguée et, que cette même invention fait l’objet d’un dépôt par une autre personne, c’est seulement cette dernière qui sera protégée au titre du droit des brevets, selon le principe du droit du premier déposant (art. L 611-6 alinéa 2 du CPI).

4) Les modes de preuves lorsque l’invention doit rester secrète :

  • avant de contacter un futur partenaire financier, industriel ou commercial, si l’idée ou le projet n’est pas encore concrétisé, et de négocier des accords confidentiels faisant mention de l’enveloppe ;
  • avant de déposer un brevet d’invention, si l’inventeur souhaite achever la mise au point de son projet (un nouveau produit, une amélioration apportée à un produit, un procédé innovant) ;
  • en phase de recherche et développement, pour protéger les travaux et minimiser les conséquences d’éventuelles indiscrétions ;
  • si le cout du brevet est trop onéreux, etc.

Parmi les différents modes de preuve, il existe l’enveloppe Soleau, un cahier de laboratoire, le dépôt auprès d’un notaire, d’huissier, etc.

La technologie Blockchain devrait connaitre un très fort développement dans les prochaines années pour la preuve d’une invention qui n’a pas été brevetée. Rappelons que cette technologie assure dans des conditions qui préserve de façon absolue la confidentialité de l’invention une preuve rapide et peu onéreuse. Le calcul de l’empreinte numérique du document, preuve de l’invention, en vue d’un ancrage Blockchain, est réalisé sur le navigateur de l’utilisateur lui-même et non au niveau de l’intermédiaire donnant accès à la Blockchain. Seule cette empreinte numérique est ancrée dans la Blockchain, non pas le document source, sa confidentialité est totale à l’égard des tiers.

L’inventeur peut donc protéger avec la Blockchain une invention non divulguée sans avoir à la dévoiler à quiconque, pas même à un tiers de confiance.

[1] Article L.611-2 CPI.

[2] Article L.621-1 CPI.

[3] Selon la jurisprudence :CA Paris, 13 juin 1972 et Cass. Crim, 20 juin 1973, n°72-92.270.

[4] Article L.621-1 CPI.

[5] Articles L.1227-1, L.2143-21 et L.2313-13§4.

[6] Article 226-13 : « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende »