Savoir se constituer avant le procès[1] la preuve des actes qui portent atteinte à ses droits de propriété intellectuelle et du préjudice subi du fait de ces actes est un élément essentiel du succès de la démarche contentieuse.
Parmi les moyens à la disposition du créateur (étant rappelé que la contrefaçon se prouve par tous moyens), les plus usités sont les suivants :
1) Le constat d’huissier
Le constat d’huissier est le mode de préservation de la preuve des actes illicites et du dommage subi le plus aisé. Il consiste à faire appel à un huissier de justice pour qu’il réalise une véritable « photographie juridique » d’une situation de fait, par exemple, la vente d’un produit contrefaisant dans une boutique.
L’huissier peut directement effectuer des constatations dans des endroits accessibles au public, mais ne peut sans autorisation judiciaire pénétrer dans un espace privé (notamment un magasin, pour acheter un produit ou pour réaliser un constat).
Le constat d’huissier peut également servir à apporter la preuve qu’à une date donnée, des produits contrefaisants étaient présentés ou proposés à la vente sur un ou plusieurs sites internet (les constats réalisés sur internet étant soumis à des conditions de validité particulières).
Toutefois, seuls les sites qui sont destinés au public français[2] pourront légitimer la saisine des juridictions françaises, lesquelles ne sont en tout état de cause compétentes que pour réparer le préjudice subi en France.
Le procès-verbal de l’huissier est revêtu d’une force particulière, puisque les conditions dans lesquelles il a été réalisé valent jusqu’à « inscription de faux », c’est-à-dire que la date, l’heure, le lieu du constat, le déroulement des opérations ou les parties présentes lors du constat ne peuvent être contestées que par la voie d’une procédure judiciaire particulière et rarement employée[3].
Avantages : peu coûteux, souple, rapide, discret (le contrefacteur n’a pas connaissance de l’intervention de l’huissier), juridiquement solide.
Inconvénients : permet rarement de rendre compte de l’exacte étendue des actes illicites (quantité des produits contrefaits notamment) et du préjudice subi. Ne met fin ni aux actes illicites, ni, en conséquence, au préjudice.
En pratique : pour trouver un huissier, le plus simple est de consulter l’annuaire mis à disposition sur le site internet de la Chambre Nationale des Huissiers de Justice à l’adresse http://www.huissier-justice.fr/annuaire.aspx
Attention : l’huissier ne peut intervenir que sur un territoire déterminé (rattaché à un tribunal d’instance) et ne peut pénétrer dans un lieu privé (par exemple une boutique) sans autorisation judiciaire.
Le coût d’un constat d’huissier varie selon la complexité des opérations en cause. Il faut compter environ entre 300 et 500 euros pour un constat d’achat simple.
2) La saisie-contrefaçon
La saisie contrefaçon est le mode le plus complet de préservation des preuves des actes illicites et du préjudice subi. Elle peut également faire cesser les actes illicites.
Elle permet en effet à l’huissier, assisté de tout expert de son choix (serrurier, photographe, informaticien, comptable, etc.), et le cas échéant avec le concours de la force publique, de se présenter au lieu supposé de la contrefaçon et d’y saisir les produits contrefaisants[4].
La saisie peut être réelle (auquel cas les contrefaçons sont physiquement appréhendés par l’huissier) ou simplement descriptives (auquel cas les contrefaçons sont simplement décrites par l’huissier dans son procès-verbal de constat). L’huissier qui saisira les produits argués de contrefaçon devra en général régler le prix de l’objet saisi.
A cette saisie des produits contrefaisants peut s’ajouter la saisie des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer illicitement les contrefaçons, la saisie de tout document s’y rapportant (notamment factures et autres documents comptables[5]), voire, pour la saisie contrefaçon de droit d’auteur, la saisie des recettes réalisées.
Enfin, cette saisie autorise le saisissant à prendre connaissance de tous documents comptables ou autres, qui permettent de déterminer l’ampleur de la contrefaçon (factures, nombre d’exemplaires vendus, prix d’achat, prix de vente, etc.), ainsi que la provenance des produits[6].
Ces éléments peuvent ainsi démontrer l’ampleur du préjudice subi, et justifier que le Tribunal saisi décide d’allouer des dommages et intérêts substantiels au demandeur.
Avantages : permet souvent de rendre compte de l’ampleur des actes illicites et du préjudice subi et met souvent fin aux actes illicites. Surprend le contrefacteur sur le fait. Assez rapide.
Inconvénients : plus lourd à mettre en place et plus coûteux que le simple constat d’huissier.
En pratique : il s’agit d’une procédure probatoire non contradictoire sur requête destinée à obtenir du juge une ordonnance autorisant la saisie-réelle ou descriptive sur site. Elle a lieu préalablement à l’introduction d’une procédure au fond. L’adversaire n’aura donc connaissance de la saisie qu’à compter de son exécution, lui conférant ainsi toute son efficacité.
Avec son avocat habituel, le créateur devra donc choisir un avocat appartenant au barreau du tribunal qui examinera la requête (si son avocat habituel n’en est pas membre), qui sera chargé de la soutenir.
Si, en fonction des éléments de preuve communiqués (preuve de ses droits, preuve d’actes manifestement illicites – par exemple grâce à des constats d’huissiers), le juge estime qu’il est visiblement porté atteinte aux droits du créateur, il désigne dans une ordonnance un huissier chargé de réaliser la saisie contrefaçon et y précise le périmètre de cette saisie ; il peut encore exiger du créateur qu’il constitue des garanties pour assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action en contrefaçon est jugée non fondée.
Le créateur devra alors sélectionner avec attention les experts chargés d’assister l’huissier et préparer minutieusement la saisie avec les différents intervenants (notamment l’huissier) afin de ménager un effet de surprise maximum. Les éléments saisis sont séquestrés par l’huissier.
Enfin, à compter du jour de la saisie[7], le créateur devra assigner le contrefacteur devant les tribunaux dans un délai de 20 jours ouvrables ou 31 jours civils (si ce délai est plus long). A défaut, dans la plupart des cas, la saisie-contrefaçon est nulle (des nuances existent selon le type de droits en cause)[8].
Le coût d’une saisie contrefaçon varie selon la complexité des opérations en cause. Il faut compter environ entre 1.500 et 2.500 euros pour une saisie contrefaçon simple, auxquels s’ajoutent les honoraires de l’avocat pour la préparation de l’action judiciaire au fond (qui est obligatoire) et, le cas échéant, les sommes exigées par le juge à titre de garantie au cas où cette action au fond serait un échec.
3) La retenue douanière
La retenue douanière complète efficacement le dispositif de protection des droits de propriété intellectuelle et de constitution de la preuve des actes illicites.
Le créateur peut bénéficier de l’intervention des autorités douanières, qu’il aura le plus souvent saisies au préalable d’une demande d’intervention.
Cette demande autorise les douanes à appréhender les produits contrefaisants à leur entrée sur le territoire avant même leur mise sur le marché (voire postérieurement à cette mise sur le marché par l’action des douanes volantes).
Ces interventions sont au demeurant d’autant plus efficaces qu’elles concernent l’ensemble des droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur, dessin, modèle, marque, brevets.)[9].
Il convient toutefois de noter que lorsque les autorités douanières poursuivent un contrefacteur devant les juridictions pénales sur le fondement du code des douanes, le titulaire des droits ne peut en général se constituer partie civile et doit alors engager une action concurrente, pour tenter d’obtenir la réparation du préjudice subi.
Avantages : facile à mettre en œuvre. Permet d’entraver efficacement les flux de produits contrefaisants au niveau français comme au niveau de la Communauté européenne.
Inconvénients : nécessite un suivi aux côtes des autorités douanières afin de les sensibiliser.
L’impossibilité de se constituer partie civile lorsque la citation des douanes ne vise que les infractions au code des douanes.
En pratique : dans un premier temps, le créateur devra constituer et déposer son dossier de demande d’intervention douanière auprès des autorités concernées (nationales et/ou communautaires), puis organiser des actions récurrentes de sensibilisation des agents des douanes à ses produits, aux produits contrefaisants et aux réseaux de contrefaçon connus[10].
Les douanes n’exigent pas de frais de dépôt de dossier.
Une fois le dispositif mis en place, les douaniers identifient des produits dont ils estiment qu’ils sont contrefaisants, procèdent à leur retenue et informent immédiatement le créateur de la retenue en l’invitant à examiner les produits (l’examen effectué sur les produits même, en présence des douaniers, ou sur photographies).
Le créateur procède à l’examen des produits retenus et indique aux douanes s’il estime qu’ils sont contrefaisants ou non :
– dans la négative, la mesure de retenue est levée et les produits dédouanés ;
– dans l’affirmative, les douanes communiquent au créateur les noms et adresses de l’expéditeur, de l’importateur et du destinataire des marchandises retenues, ou de leur détenteur, ainsi que leur quantité, aux fins d’introduire une action en justice.
Dès que l’action est introduite, la retenue se transforme en saisie douanière ; si cette action n’est pas introduite dans les dix jours suivant la notification de la retenue, celle-ci est levée et les produits sont dédouanés.
Paul, jeune designer,, constate la vente dans une boutique parisienne d’une copie quasi conforme d’une table qu’il a créée et vient de lancer avec succès. Cette table est originale et protégée par le droit d’auteur.
Première étape : il choisit un huissier de justice parisien sur le site de la Chambre Nationale des Huissiers de Justice afin de réaliser un constat d’achat. L’huissier se rend avec lui devant la boutique, Paul entre dans la boutique les mains vides et sans sac (l’huissier n’y étant pas autorisé), achète la contrefaçon, ressort et remet la copie à l’huissier, avec la facture ou le ticket d’achat correspondant.
Paul s’est ainsi constitué la preuve qu’une copie de sa création a été vendue par cette boutique à un moment précis, mais ne connaît ni le chiffre d’affaires réalisé par le contrefacteur, ni le stock de copies existant, ni les fournisseurs et fabricants de ces copies. Il ne peut donc pas déterminer l’ampleur des actes illicites et l’ampleur du préjudice subi.
Deuxième étape : pour remédier à ce problème, il choisit de réaliser une saisie contrefaçon. La boutique étant localisée à Paris, il charge son avocat parisien de soutenir la requête aux fins de saisie contrefaçon devant le tribunal de grande instance. Grâce au constat d’huissier, l’ordonnance est obtenue sans difficulté.
L’avocat du designer contacte alors l’huissier, ainsi qu’un photographe : les produits du designer sont en effet réputés pour un détail difficilement perceptible pour un photographe non averti.
Les opérations de saisie permettent de déterminer que la boutique détenait un stock de 600 produits contrefaisants, qu’elle avait déjà réalisé plus de 100.000 euros de chiffre d’affaires et que les produits étaient importés de Chine et entraient en France par le port du Havre.
Paul peut alors assigner la boutique qui vend le produit et le fabricant chinois puisqu’il dispose des preuves nécessaires des actes illicites et du préjudice qu’il a subi.
Cette action lui permettra de faire cesser les actes de contrefaçon et d’obtenir des dommages et intérêts substantiels.
Troisième étape : la saisie contrefaçon a permis d’identifier un importateur chinois. JC en avertit immédiatement les douanes, auprès desquelles il avait déposé une demande d’intervention. Les douanes peuvent ainsi procéder à la retenue de plus de 10.000 produits contrefaisants au port du Havre.
Lorsque des créations sont reproduites sur un site internet sans autorisation, il faut être particulièrement vigilant : la preuve d’une contrefaçon sur internet répond en effet à des prescriptions techniques strictement contrôlées par les tribunaux afin d’éviter toute fraude[11].
Si ces prescriptions ne sont pas respectées, les effets peuvent être désastreux : les tribunaux risquent d’écarter purement et simplement un constat du seul fait qu’il ne satisfait pas aux prescriptions techniques imposées.
Il est donc recommandé de faire appel à des huissiers ou des organismes agréés spécialisés dans la preuve numérique, tels que l’Agence pour la Protection des Programmes (APP), dont le site internet est accessible à l’adresse suivante : http://app.legalis.net/defendre.php3?id_article=21.
[1] Le droit d’information permet de compléter cette preuve une fois le procès engagé.
[2] C’est-à-dire rédigés en français, proposant un moyen de paiement en euros, permettant des livraisons en France, etc.
[3] Articles 303 et suivants du Code de procédure civile.
[4] Articles L.332-1 à L.332-4 (pour les droits d’auteur), L.521-4 (dessins et modèles), L.615-5 (brevets d’invention) L.716-7 (marques) du Code la propriété intellectuelle.
[5] Sauf en matière de droit d’auteur, où ces documents seront réclamés par le biais du droit d’information susvisé.
[6] Article L 331-1-2 du Code de la propriété intellectuelle
[7] Articles R. 521-4 (dessins et modèles) et R. 716-4 (marques). En matière de droit d’auteur (à l’exclusion de la saisie réalisée par le commissaire de police ou le juge d’instance), à compter de l’exécution de l’ordonnance.
[8] en matière de droit d’auteur, le défaut d’assignation permet uniquement au saisi de solliciter la mainlevée de la mesure (à l’exclusion du logiciel, où l’annulation ne nécessite même pas une demande du tiers saisi).
[9] Articles L.335-10 (droits d’auteur), L.521-14 à 521-19 (dessins et modèles), L.716-8 à L.716-8-6 (marques) du CPI.
[10] Attention : depuis le 29 octobre 2007, les douaniers peuvent également procéder à la retenue de produits susceptibles de constituer des contrefaçons de marques ou de dessins et modèles sans demande préalable du détenteur des droits, à condition que ce dernier régularise cette demande dans les trois jours de la notification de la retenue.
[11] Les juridictions vérifient ainsi que l’huissier a procédé à plusieurs opérations techniques permettant d’affirmer que l’objet contrefaisant était bien présent sur le site internet à la date où le constat a été effectué et notamment que la date retenue par l’horloge du système d’exploitation du PC est bien à la date du jour, vérifié que l’option connexion par proxy est désactivée, effacé l’historique du navigateur, supprimé les cookies présents sur la machine de consultation, supprimé les fichiers internet temporaires du navigateur, vidé les caches du logiciel Visual Route” préciser les références du matériel utilisé, le type de connexion, l’adresse IP et les logiciels de navigation et de capture d’écran utilisés;