Comment se défendre en cas de réclamation d’un tiers ?

Vincent Fauchoux
Par Vincent Fauchoux
Avocat au barreau de Paris et cofondateur du site BlockchainyouIp. Ancien président de l'association Cyberlex (2005- 2007), il est à l'origine des Rencontres annuelles du Droit de l'Internet.

Le principe : Les défenses disponibles contre une action en contrefaction

Les moyens de défense communs à tous les types de droits de propriété intellectuelle sont les suivants (chaque cas présentant des spécificités qui peuvent permettre de soulever d’autres moyens de défense ou qui rendent inopérants voire contre productifs, certains des moyens développés ci-après) :

1) Les exceptions de procédures

C’est le premier moyen de défense à examiner, bien qu’il ne porte que sur des éléments de procédure, comme son nom l’indique. Les exceptions de procédure sont celles qu’on oppose pour faire juger une procédure irrégulière, éteinte, ou pour la faire suspendre[1].

Elles doivent être soulevées avant tout autre moyen de défense et sont principalement les suivantes :

a) L’exception d’incompétence: c’est le moyen de défense que l’on soulève pour faire juger que la juridiction saisie n’aurait pas dû l’être car elle n’est pas compétente pour trancher le litige. Deux types d’incompétence sont possibles :

b) L’incompétence matérielle : c’est celle qui consiste à saisir une catégorie de tribunal (tribunal de commerce, conseil de prud’hommes, tribunal d’instance, etc.) alors que ces tribunaux ne peuvent pas trancher la matière en litige. C’est par exemple le cas si la victime de la contrefaçon supposée d’une marque saisit le tribunal de commerce, alors que le tribunal de grande instance est seul compétent en matière de contrefaçon.

c) L’incompétence territoriale: c’est celle qui consiste à saisir un tribunal qui n’est pas territorialement compétent. Par exemple, c’est le cas si la victime parisienne d’un acte de contrefaçon commis à Paris par une société parisienne saisit le tribunal de grande instance de Strasbourg.

Si le tribunal s’estime incompétent, l’affaire est renvoyée devant le tribunal compétent.

d) L’exception de litispendance et de connexité: C’est le moyen de défense que l’on soulève pour faire juger que la juridiction saisie doit se dessaisir au profit d’une autre juridiction déjà saisie soit du même litige (cas de litispendance), soit d’un litige qui aurait tout intérêt à être tranché par la juridiction déjà saisie d’un premier litige (cas de connexité)[2].

En cas de litispendance ou de connexité, le tribunal se dessaisit au profit de l’autre juridiction, qui tranchera donc les deux litiges litispendants ou connexes.

e) Les exceptions de nullité: Ce sont les moyens soulevés pour faire juger que les actes de procédure (notamment l’assignation en justice) est nulle. La nullité est fondée soit sur des vices de forme (par exemple, si l’assignation ne contient pas l’ensemble des mentions obligatoires), soit sur des vices de fond (par exemple, si la personne qui délivre l’assignation n’a pas la capacité légale d’agir en justice)[3].

Si la nullité n’est pas régularisée (quand elle est régularisable), l’action judiciaire s’éteint.

2) Les fins de non-recevoir

C’est l’autre moyen de procédure que le défendeur à l’action en contrefaçon doit passer en revue. Contrairement aux exceptions de procédure, elles peuvent être soulevées « en tout état de cause », c’est-à-dire même après avoir soulevé des moyens de défense au fond.

Si une fin de non-recevoir est retenue, les demandes de la victime de la contrefaçon sont déclarées irrecevables par le juge. Les deux principales fins de non-recevoir sont les suivantes[4] :

a) Le défaut d’intérêt à agir ou de qualité pour agir:

Si la personne qui agit n’a pas d’intérêt légitime à agir (c’est-à-dire auquel l’action judiciaire n’est pas susceptible de procurer un avantage) ou de qualité pour agir (c’est-à-dire qui a le droit de faire examiner ses prétentions par le juge), ses demandes sont irrecevables.

C’est le cas par exemple de la personne qui a cédé une marque et qui agirait en contrefaçon de celle-ci pour des actes postérieurs à la cession, ou encore de l’auteur qui agirait sur le fondement de l’atteinte à des droits patrimoniaux qu’il aurait cédé à titre exclusif à un tiers.

b) La prescription:

Si une action est prescrite, la demande de celui qui agit en devient irrecevable.

Viennent ensuite les moyens de défense au fond, qui varient selon le droit de propriété intellectuelle en cause. On renverra pour le détail de chaque point aux développements correspondants dans les parties ci-dessus.

1. En matière de droit d’auteur

La défense en matière de droit d’auteur consiste, en résumé, à :

  • contester l’originalité de la création qui est opposée en demande (à supposer que cette contestation ait un sens, ce qui ne sera pas le cas, le plus souvent, d’une œuvre graphique ou littéraire) ; cela peut se faire par la recherche de créations antérieures reprenant les éléments supposément originaux de cette création ;
  • contester la titularité des droits d’auteur ; cela consiste à dire que la personne qui se présente comme étant victime de la contrefaçon n’est pas titulaire des droits d’auteur, ou, en tout état de cause, qu’elle ne prouve pas être titulaire desdits droits[5];
  • contester la contrefaçon, en soulignant que l’œuvre arguée de contrefaçon (l’œuvre contrefaisante) ne reproduit pas les éléments originaux de l’œuvre opposée en demande (l’œuvre contrefaite) ;
  • en tout état de cause, contester l’existence et l’étendue du préjudice allégué.

2. En matière de marques

La défense en matière de marque consiste, en résumé, à :

  • contester la validité de la marque opposée en demande, en arguant par exemple du fait qu’elle est nulle car dénuée de distinctivité, qu’elle est illicite, ou qu’elle n’est pas disponible, ou encore en arguant du fait que le propriétaire de la marque est déchu de ses droits ;
  • contester la recevabilité de l’action, sur la base de l’argument spécifique au droit des marques de la forclusion par tolérance ;
  • contester la contrefaçon, en arguant du fait que l’exploitation litigieuse n’est pas réalisée dans la vie des affaires, ou qu’elle ne concerne pas les produits et services visés au dépôt de la marque opposée en demande, ou que le signe n’est pas reproduit, ou qu’il n’est pas imité de sorte qu’un risque de confusion apparaisse dans l’esprit des consommateurs ;
  • contester l’existence et l’étendue du préjudice prétendument subi.

3. En matière de dessins et modèles

La défense en matière de dessins et modèles consiste, en résumé, à :

  • contester la validité du dessin ou du modèle opposé en demande, en arguant par exemple du fait qu’il est nul car pas nouveau ou dénué de caractère propre ;
  • contester la contrefaçon, en arguant du fait que le produit argué de contrefaçon n’incorpore pas les éléments caractéristiques du dessin ou le modèle opposé en demande, par exemple parce qu’il n’incorpore que des éléments nécessaires à la réalisation de la fonction technique du dessin ou du modèle ;
  • contester l’existence et l’étendue du préjudice prétendument subi.

4. En matière de brevets

La défense en matière de brevets consiste, en résumé, à :

  • contester la validité du brevet opposé en demande, en arguant par exemple qu’il n’est pas nouveau, qu’il ne démontre pas d’activité inventive ou qu’il n’est pas capable d’application industrielle ;
  • contester la contrefaçon, en arguant par exemple une possession personnelle antérieure de l’invention, que la technique arguée de contrefaçon ne reproduit pas les éléments essentiels de l’invention, ou qu’elle n’a pas la même fonction et n’engendre pas un résultat de même nature que le moyen breveté ;
  • contester l’existence et l’étendue du préjudice prétendument subi.

[1] Articles 73 et suivants du Code de procédure civile.

[2] Articles 100 et 101 du Code de procédure civile.

[3] Articles 112 et suivants du Code de procédure civile.

[4] Article 122 du Code de procédure civile.

[5] Attention au jeu de la présomption de titularité de la personne morale, exposée plus haut.