Est-il possible de protéger n’importe quel type de création ?

Vincent Fauchoux
Par Vincent Fauchoux
Avocat au barreau de Paris et cofondateur du site BlockchainyouIp.
Ancien président de l'association Cyberlex (2005- 2007), il est à l'origine des Rencontres annuelles du Droit de l'Internet.

Principe : Quelles sont les oeuvres protégeables par le droit d'auteur ?

Toute création de forme est protégeable, pour peu qu’elle réponde aux conditions de la protection de chacun des régimes spécifiques de droits de propriété intellectuelle.

1) Les créations protégées par le droit d’auteur

L’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle énonce que « les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».

L’article L. 112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) propose une liste des œuvres de l’esprit susceptibles d’être protégées par le droit d’auteurs :

Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code:

1o Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques;
2o Les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres œuvres de même nature;
3o Les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales;
4o Les œuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement;
5o Les compositions musicales avec ou sans paroles;
6o Les œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles;
7o Les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie;
8o Les œuvres graphiques et typographiques;
9o Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie;
10o Les œuvres des arts appliqués;
11o Les illustrations, les cartes géographiques;
12o Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences;
13o «Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire»;
14o Les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l’habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d’ameublement.

Il n’y a donc pas de définition de l’œuvre protégée, ni de liste exhaustive des œuvres protégeables. Le champ du droit d’auteur est depuis longtemps étendu par les juges français, qui retiennent la protection de créations inconnues de l’énumération légale dès lors qu’il est possible d’y trouver une forme originale.

Il est ainsi possible de protéger :

  • une création qui combine des éléments banals, lorsque leur association est originale. Ainsi, les juges indiquent souvent que, si les éléments qui composent les modèles sont effectivement connus et que pris séparément ils appartiennent au fonds commun de l’univers du produit en cause, en revanche, leurs combinaisons telles que revendiquées [leur] confèrent une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur »[1].
  • un détail de couture: il est possible de protéger non seulement le modèle dans son ensemble, mais également une partie du modèle, même si celle-ci ne représente qu’un détail de l’ensemble. C’est ainsi qu’on pourra protéger le fermoir d’un sac ou la boutonnière d’un vêtement, sans pour autant revendiquer la protection du sac ou du vêtement dans son ensemble.
  • un défilé: les juges ont estimé que les photographies de défilés de mode qui représentent les créations qui y sont présentées, voire des décors (tels que les podiums) et qui sont réalisées sans autorisation, constituent des contrefaçons de ces œuvres[2].

Par exemple

JC crée un modèle de sac, en s’inspirant pour la poignée et les anses d’une gravure du XVIIème siècle, pour le revêtement d’un modèle de la Rome antique et pour l’ossature, d’un sac XIXème. Ces éléments, pris séparément, ne sont pas originaux et appartiennent au domaine public, dont chacun peut s’inspirer.

Pourtant, aucun autre créateur n’avait eu jusqu’à présent l’idée de créer un sac assemblant ces trois éléments : cette association reflète donc l’empreinte de la personnalité de JC, et le sac est à ce titre protégé par le droit d’auteur (il peut également bénéficier de la protection du livre V du CPI s’il fait l’objet d’un dépôt).

2) Les créations protégées par les dessins et modèles

Les formes et les dessins protégés par les dessins et modèles sont destinés à être reproduits industriellement ; ces créations du design industriel relèvent alors de « l’art appliqué ».

Après avoir énoncé que la protection ne concerne que l’apparence des produits, le CPI précise « qu’est considéré comme un produit tout objet industriel ou artisanal, notamment les pièces conçues pour assemblée en un produit complexe, les emballages, les présentations, les symboles graphiques et les caractères typographiques, à l’exclusion toutefois des programmes d’ordinateur »[3].

Les dessins et modèles sont donc des créations constituées d’effets visuels extérieurs. Cet effet visuel ne peut ni être le résultat aléatoire d’un procédé de fabrication, ni être dicté par la fonction technique de l’objet en cause (on parle alors de brevet). S’il s’agit d’un dessin, l’apparence peut consister en une disposition de traits ou de couleurs aboutissant à un effet décoratif ; s’il s’agit d’un modèle, l’apparence est constituée d’une figure à trois dimensions formée de contours, de formes, de couleurs, de textures ou de matériaux déterminés. L’essentiel est que le dessin ou le modèle soit visible lors de son usage normal.

La protection est également conditionnée par l’existence d’un produit, il faut donc en conclure que les dessins ne correspondant ni à un objet ou partie de celui-ci, ni à son ornementation, sont exclus de la protection. Il doit en outre, s’agir d’un produit fabriqué industriellement ou artisanalement, c’est-à-dire qu’il doit être susceptible d’être reproduit en série selon une fabrication mécanisée.

Cette protection est étendue aux éléments ou aux pièces composant un « produit complexe », composé de multiples pièces qui peuvent être remplacées ; cette règle vaut en particulier pour les automobiles.

Par exemple

Ne seraient pas protégés un mécanisme de canapé-lit, la structure interne d’un mannequin, un agencement de magasin; en revanche, seraient protégé, un effet lumineux sur un abat-jour, l’apparence d’un tissu (gaufré, ondulé etc.), un projet-type de maison.

Pour aller plus loin

1) Le rapprochement avec le droit des marques

Les éléments de formes sont protégés par les dessins et modèles en eux-mêmes, non pas pour ce qu’ils peuvent représenter à titre de signe distinctif. Ces créations de formes peuvent également être protégées par le droit des marques, lorsqu’elles apparaissent comme le signe distinctif d’un produit ou d’un service. C’est ainsi que le flacon d’un parfum ou le conditionnement de tout produit peuvent être enregistrés comme marque ou comme dessin et modèle. L’enjeu est de taille puisque le droit conféré par les dessins et modèles est limité à 25 ans alors que le droit des marques peut être indéfiniment renouvelé tous les 10 ans.

2) Est-il possible de protéger un genre, une signature esthétique ?

Le principe est qu’un genre ou un style n’est pas protégeable par le droit d’auteur, ou par le droit des dessins et modèles. L’originalité d’une part, la nouveauté et le caractère propre d’autre part, s’apprécient en effet au cas par cas, création par création.

Cependant, une signature esthétique, un style, peuvent être le cas échéant protégés par le biais de la concurrence déloyale, à condition toutefois que le créateur prouve :

  • que le public associe le genre à son nom ,
  • que le tiers qui a repris le genre en cause crée un risque de confusion avec les produits du créateur,
  • étant précisé qu’il est tenu compte des articles du même genre déjà présents sur le marché[4].

[1] Voir par exemple, Cour d’appel de Paris (4ème ch., sect. A), 28 mai 2008, Amazonia / Gas ; Cour d’appel de Paris, 14 mai 2008, Karine / Fiso (Paul & Joe) ; Cour d’appel de Paris, 6 novembre 2013, n°2012/12518, Dior / Brandalley

[2] Voir Cour de cassation (ch. crim.), 5 février 2008, Madeira et al. / Chanel et al. ; TGI Paris (3ème ch., 1ère sect.), 25 mars 2008, Franck X / Alter Ego & Co ; Cour d’appel de Paris (4ème ch., sect. A), 28 mai 2008, MJA / Nemlaghi.

[3] Article L.511-1 CPI.

[4] C’est ainsi que les juges ont estimé que le genre « rayures multicolores de même largeur sur fond noir », revendiqué par Sonia Rykiel comme étant protégeable au titre de la concurrence déloyale, ne l’était pas, faute notamment de l’existence d’un risque de confusion, d’autant plus que le consommateur se voit proposer par d’autres opérateurs sur le marché de la confection et sous diverses marques des articles vestimentaires qui déclinent des rayures horizontales de mêmes largeurs dans les coloris les plus variés.