Si l’œuvre est protégée par le droit d’auteur dès sa création, cette protection n’est efficace qu’à la condition de pouvoir dater précisément ladite création et démontrer que celle-ci est bien antérieure au produit contrefaisant.
Or, c’est précisément à cette difficulté que sont confrontés les créateurs qui doivent défendre leurs œuvres devant les tribunaux et qui, le plus souvent, n’ont pas pris les mesures nécessaires en amont pour faciliter l’administration de la preuve de la date de la création de leurs œuvres.
Certes, il est toujours possible de produire des documents relatifs à la commercialisation de l’œuvre (catalogues, bons de commande, factures, etc.) ou tout autre document (articles de presse, etc.), portant une date qui sera considérée par défaut comme étant la date de la création de l’œuvre, à compter de laquelle la protection du droit d’auteur s’applique.
Les méthodes suivantes permettent de prévenir ce genre de difficultés:
1) Le recommandé avec accusé de réception
C’est la mesure la plus basique pour prouver la date d’une création. Elle consiste à s’envoyer à soi-même une lettre en recommandé avec accusé de réception contenant la création et à conserver le pli fermé pour le cas où la création devait être défendue par la voie judiciaire. Le tampon de la poste vaut alors date de la création, opposable au contrefacteur.
L’inconvénient de cette méthode peu onéreuse (prix de la lettre recommandée avec accusé de réception) est qu’elle n’est utilisable qu’une seule fois (la lettre étant ensuite ouverte), qu’elle n’est pas adaptée aux créations en trois dimensions et que le contenu de la lettre est souvent contesté.
2) L’enveloppe « Soleau »
L’enveloppe « Soleau » est fournie par l’INPI au prix de 15 euros.
Elle comporte deux compartiments dans lesquels le créateur insère sa création (à l’identique). L’enveloppe est ensuite remise à l’INPI, qui perfore les deux compartiments, en conserve un et renvoie l’autre au créateur. Elle est conservée cinq ans par l’INPI (ce délai de conservation est renouvelable une seule fois). Dans l’hypothèse où la création devrait être défendue par la voie judiciaire, le tribunal saisi pourrait demander la restitution du second compartiment par l’INPI ; la comparaison du contenu des deux compartiments authentifierait alors la création et lui donnerait une date certaine.
L’inconvénient de cette méthode peu onéreuse est qu’elle n’est pas adaptée aux créations en trois dimensions et qu’elle ne permet d’accueillir que 7 feuillets A4 par compartiment.
Depuis le 15 décembre 2016, le service e-Soleau est mis à la disposition des créateurs. C’est une démarche en ligne rapide et sécurisée proposant une solution d’archivage certifiée à valeur probatoire :
Pour chaque fichier déposé composant une création, une empreinte sera calculée et conservée dans le Système d’Archivage Electronique de l’INPI. A l’issue de cette démarche, un récépissé délivré par courriel mentionnant la date de dépôt, la liste des pièces déposées et leurs empreintes respectives, permettra à l’auteur de prouver qu’il a déposé ses documents à l’INPI à une date certaine et qu’ils n’ont pas été modifiés.
L’e-procédure est plus souple et avantageuse que la procédure papier. Elle permet :
3) Le constat d’huissier
Le procès-verbal dressé par l’huissier de justice est un acte utile dans la mesure où les conditions (date et heure des constatations, parties présentes, déroulement des constatations) dans lesquelles il a été réalisé ont la valeur d’un acte authentique, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent être contestées que dans des conditions très limitées. C’est un moyen fort pour donner date certaine à une création.
Pour le cas où la création devait être défendue par la voie judiciaire, il suffirait de produire le procès-verbal de constat dressé par l’huissier pour apporter la preuve de la date à laquelle l’œuvre a été créée.
L’inconvénient de cette méthode est qu’elle est plus onéreuse que les deux précédentes (entre 300 et 500 euros pour un constat simple), mais elle a l’avantage d’être difficilement contestable sur le terrain judiciaire.
En pratique, il est conseillé de faire constater la date de ses créations de manière régulière, en faisant appel à un huissier qui pourra se rendre dans les locaux de la société, prendre les photographies des créations dont la protection est demandée et dater son procès-verbal au jour des constatations.
La même méthode peut être transposée aux constatations effectuées chez les notaires.
4) Le recours à une société d’auteur
La plupart des sociétés de gestion collective permettent à leurs membres (certaines d’entre elles étendent cette possibilité à tout auteur d’une création) de déposer une œuvre auprès d’elles. Les conditions tarifaires et la durée de conservation du dépôt varient selon les sociétés. Il convient de noter que les droits les plus usuellement gérés collectivement sont ceux sur les œuvres audiovisuelles, musicales et littéraires. A titre d’exemple, la Société Civile des Auteurs Multimédia (SCAM), propose, pour les œuvres documentaires, des tarifs variables selon le déposant et la durée choisie.
5) Le recours à un service en ligne d’horodotage
L’ensemble du processus créatif, pourtant essentiel à la démonstration des droits des auteurs sur leur création, n’est bien souvent pas protégé. Alors que les solutions mentionnées ci-dessus ne sont utilisées que pour protéger la version finale, un service de protection en ligne, tel que BlockchainyourIP, permet une protection de la création au fil de l’eau, rapide, facilement accessible et peu couteuse.
La blockchain est une technologie de transmission et de stockage d’informations fonctionnant sans intermédiaire, ni organe central de contrôle, constituant une base de données transparente et sécurisée. C’est un procédé d’ancrage qui empêche toute modification du contenu a posteriori ; il garantit alors l’intégrité du document, dont la moindre modification en modifiera l’empreinte. La blockchain est donc un système d’horodotage qui permet de conférer une date certaine aux créations.
Par ailleurs, le créateur qui recourt à une solution blockchain reste le seul à connaître le contenu de ses documents, seule l’empreinte numérique du document étant communiquée.
6) Le dessin et/ou modèle enregistré
Le dépôt d’un dessin ou d’un modèle à l’INPI en vue de son enregistrement procède d’une démarche légèrement différente.
S’il confère une date certaine à la création, un dessin et/ou un modèle lorsqu’il est enregistré est avant tout un titre de propriété industrielle qui donne à son propriétaire une protection spécifique de la forme de sa création.
Lorsqu’il respecte les conditions de validité posées par le Code de la propriété intellectuelle[1], le dépôt d’un dessin ou d’un modèle auprès de l’INPI et l’obtention du titre correspondant permet à son propriétaire de s’opposer à toute utilisation non autorisée de l’apparence de son dessin ou de son modèle.
Les conditions du dépôt et de la validité d’un dessin ou d’un modèle sont détaillées ci-après.
Pierre a créé vingt modèles de chaises pour sa nouvelle collection.
Il a déjà été confronté en 2008 à des actes de contrefaçon mais, n’avait pas été en mesure de fournir au juge des éléments permettant de donner une date certaine à ses créations (faute notamment de dépôt spécifique ou de l’existence de tout autre document, tel que des parutions presse ou des catalogues). Pierre a donc été contraint de renoncer à poursuivre ces contrefaçons.
Pour éviter que ce genre de déconvenues ne se reproduise, Pierre a choisi pour ses nouvelles collections de faire appel à un huissier, qui, à chaque saison et avant le début de la présentation des collections, se rend dans son entreprise. Il y réalise des clichés précis et détaillés de chacune des chaises, puis adresse dans la semaine qui suit un procès-verbal de constat daté, comportant en annexe la description et la photographie desdites chaises. En cas de contrefaçon, Pierre pourra produire le constat et les pages des annexes correspondant au modèle contrefait pour prouver son antériorité.
Les créations susceptibles de constituer des modèles emblématiques d’une collection peuvent faire l’objet de plusieurs mesures de protection : un constat d’huissier (afin de permettre d’établir une date certaine), un dépôt comme dessin ou modèle (sous réserve du respect des critères requis), et d’un dépôt à titre de marque figurative ou tridimensionnelle (sous réserve du respect des critères requis).
Ces dépôts multiples permettent de bénéficier de plusieurs dates de création rapprochées, au cas où la validité de l’un des titres viendrait à être contestée par un tiers.
[1] Articles L.511-1 et suivants du CPI.