L’enregistrement de la marque par l’INPI et le rejet des oppositions éventuellement formées par des tiers ne constitue en aucun cas une garantie de sa validité.
Les tiers peuvent en effet solliciter à tout moment devant le Tribunal de grande instance compétent, l’annulation ou la déchéance d’une marque enregistrée, soit en faisant délivrer une assignation au titulaire de la marque, soit à titre reconventionnel lorsqu’ils doivent par exemple répondre de faits de contrefaçon.
Ces demandes d’annulation ou de déchéance, lorsqu’elles aboutissent, entraînent la disparition de la marque, contre la volonté du titulaire.
La demande d’annulation peut être fondée sur l’inaptitude du signe à constituer une marque, c’est-à-dire sur son absence de distinctivité, sur son caractère déceptif ou son illicéité.
L’action en nullité pourrait également être engagée sur le fondement de la fraude, lorsque la marque a été enregistrée de mauvaise foi afin de priver les tiers de l’usage d’un signe nécessaire et/ou de les contraindre à conclure un contrat de licence (en contrepartie du paiement d’une redevance) les autorisant à utiliser ce signe[1].
Enfin, la nullité de la marque peut être demandée lorsqu’elle porte atteinte à un signe antérieur dont le tiers est propriétaire (marque, droit d’auteur, dénomination sociale, nom de domaine, patronyme, etc.)
Lorsqu’une marque déposée ne fait pas l’objet d’un « usage sérieux » pendant une durée ininterrompue de 5 années et qu’aucun « juste motif » ne permet de justifier cette absence d’exploitation, il est possible de former une action en déchéance contre cette marque[2].
Les cessions éventuelles qui auraient pu être consenties par le titulaire des droits, ou la demande de renouvellement qui auraient pu être adressée à l’INPI ne constituent pas des actes d’exploitation de la marque.
Pour s’opposer valablement à cette action, le titulaire devrait être en mesure de rapporter la preuve qu’il a fait un usage sérieux de la marque pour les produits et services visés dans l’enregistrement.
Cet usage sérieux est apprécié par les tribunaux qualitativement mais non quantitativement, il suffit donc qu’il soit réel et non sporadique[3]. La marque fait l’objet d’un usage sérieux si elle est exploitée conformément à sa fonction qui est de garantir l’identité d’origine des produits et des services pour lesquels elle a été enregistrée[4]
JC, Jeune créateur parisien a enregistré la marque semi-figurative « jibesac » et la marque verbale « Jibecière » pour désigner notamment les sacs qu’il a créés. L’enregistrement de ces marques a été publié au BOPI.
La société Le Chasseur Ariègeois qui commercialise des articles de chasse et notamment un modèle de gibecière, a saisi le Tribunal de grande instance de Paris afin de contester la validité de la marque « Jibecière » pour désigner des sacs.
Le Tribunal relève d’une part que le « J » qui remplace le « G » ne constitue pas un élément suffisamment distinctif et d’autre part que les deux lettres ont la même sonorité, de sorte qu’il n’existe aucune différence sonore entre les deux signes. Il juge le signe dépourvu de tout caractère distinctif.
En conséquence, le Tribunal de grande instance fait droit aux demandes de la société LE CHASSEUR ARIEGEOIS et annule la marque « Jibecière », et ce alors même que l’INPI n’avait émis aucune observation lors de l’enregistrement de la marque.
Les tribunaux considèrent que l’exploitation d’une marque voisine de la marque arguée de déchéance constitue un acte d’exploitation de la marque dès lors qu’elle n’en diffère que par des éléments n’en altérant pas le caractère distinctif, peu important que la marque modifiée ait été elle-même enregistrée[5]. L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque constitue également un usage sérieux.
L’usage doit en outre avoir été fait à titre de marque, c’est-à-dire dans le cadre de la vie des affaires, afin de permettre au consommateur d’identifier les produits commercialisés[6] ou d’en faire la promotion.
Enfin, compte tenu de la protection territoriale de la marque, l’usage doit avoir été effectué sur le territoire français, ou sur une partie de celui-ci.
En ce qui concerne l’exploitation territoriale, l’article L 714-5 alinéa 2 assimile à un acte d’usage en France, l’apposition de la marque sur des produits destinés exclusivement à l’exportation à la double condition que la marque soit apposée en France et que les produits soient destinés à la vente.
Il convient également de préciser qu’une demande en déchéance peut ne viser que certaines des classes pour lesquelles la marque a été enregistrée. On parle alors de déchéance partielle.
Enfin, le titulaire d’un droit antérieur n’est pas recevable à solliciter l’annulation d’une marque déposée depuis plus de 5 ans, dans la mesure où il aurait toléré cette exploitation pendant cette période (sous réserve que la marque ait été déposée de bonne foi, c’est-à-dire dans l’ignorance de l’existence du droit antérieur, qu’elle ait été exploitée).
Ce principe est généralement désigné comme le principe de la forclusion par tolérance.
[1] Le dépôt de la marque Halloween a ainsi été jugé frauduleux, dans la mesure où il avait été effectué afin d’empêcher les confiseurs d’utiliser le nom de la fête d’« halloween » et de leur proposer de conclure des licences d’exploitation de marques, alors que le déposant exerçait une activité de conseil aux entreprises (Cass. Com. 21 septembre 2004 – PIBD 797-III-648 « Halloween »)
[2] Article L 714-5 Code de la propriété intellectuelle
[3] Cour d’appel de Paris, 12 janvier 2005, RLDI 2005/6, n°157, obs
[4] Cass. Com., 29 janvier 2013, La Poste, PIBD 2013.III.1078.
[5] C’est-à-dire n’affecte pas la perception que le public concerné peut en avoir – Cass. Com 14 mars 2006, n°04-10.971, 03-20.198, 03-18.732.
[6] Il peut ainsi prouver par tous moyens que des produits revêtus de cette marque ont été commercialisés, que des catalogues, des articles de presse, voire des attestations font état de l’usage d’actes d’exploitation.