Quelles vérification effectuer avant le dépôt d'une marque ?

Vincent Fauchoux
Par Vincent Fauchoux
Avocat au barreau de Paris et cofondateur du site BlockchainyouIp. Ancien président de l'association Cyberlex (2005- 2007), il est à l'origine des Rencontres annuelles du Droit de l'Internet.

Le principe

Le signe doit être arbitraire et distinctif

Un signe ne peut constituer une marque valable que s’il revêt un caractère distinctif ou arbitraire à l’égard des produits ou services qu’il a vocation à désigner et qui sont visés dans la demande d’enregistrement (article L. 711-2 du CPI).

Seuls les éléments distinctifs composant un signe, permettront aux consommateurs de le percevoir comme indiquant l’origine du produit ou service.

Le droit des marques est un droit d’occupation et non de création, si bien qu’il n’est pas nécessaire que le signe choisi soit nouveau ou original pour constituer une marque valable[1].

En revanche, sont dépourvus de caractère distinctif et ne peuvent constituer une marque valable, les signes :

  • qui sont dans le langage courant la désignation générique (c’est-à-dire qui renvoient à la catégorie, l’espèce ou le genre auquel appartient le produit) nécessaire ou usuelle (c’est-à-dire que le signe est d’usage courant ou obligé pour désigner le produit) du produit ou du service. Ces signes doivent en effet rester à la disposition de tous pour préserver la concurrence : ainsi la marque « La Maison du Café» pour désigner du café n’a pas été jugée distinctive[2].
  • qui servent à désigner une caractéristique du produit ou du service tels que l’espèce la qualité, la provenance géographique, etc. (ont ainsi été jugés descriptifs « Multimédia» pour des services diffusés par différents médias[3], « Argane » pour un produit cosmétique à base d’huile d’argane[4], « Casa del Habano » pour des articles de fumeurs évoquant les cigares de Cuba[5]) ;
  • qui sont constitués par la forme imposée, par la nature ou la fonction du produit (il a ainsi été jugé que la brique Lego avait un caractère fonctionnel lui donnant son aspect extérieur et ne pouvait dès lors être protégé à titre de marque[6]). Ce critère est renforcé par le « Paquet marques » : tous les signes qui résultent, par leur forme ou par toute autre caractéristique, de la nature des produits eux-mêmes, ou qui sont nécessaires à l’obtention d’un résultat technique, ou qui confèrent une valeur substantielle aux produits seront exclus de la protection du droit des marques.

Le caractère distinctif d’un signe s’apprécie par rapport aux produits ou services couverts par la marque (ainsi, un signe tel que « Diesel » issu du langage courant, peut être distinctif pour désigner des vêtements mais ne le serait pas pour désigner des moteurs de véhicules ; de même le signe « Apple » est distinctif pour des produits informatiques parce qu’il n’y aucun rapport entre le signe et le produit mais il ne le serait absolument pas pour des produits à base de pomme).

En règle générale, il conviendra toujours d’éviter d’utiliser un signe à titre de marque lorsqu’il existe un doute sur son caractère distinctif.

Le signe doit être licite

Le signe doit être licite, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

Le signe ne doit pas tromper le public sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit[7].

Le signe doit être disponible

Le signe doit être disponible, c’est-à-dire qu’il ne doit pas porter atteinte aux droits antérieurs des tiers tels qu’une marque antérieure enregistrée, une dénomination ou une raison sociale, un nom commercial, une appellation d’origine protégée, des droits d’auteur, des droits résultant d’un dessin ou modèle, un nom patronymique, l’image d’un tiers, etc. [8].

Avec l’entrée en vigueur du Paquet Marque il faudra également être plus vigilant quant aux antériorités : en effet, outre les appellations d’origine et les indications géographiques, les mentions traditionnelles pour les vins, les spécialités traditionnelles garanties, et les dénominations des variétés végétales (lorsqu’elles sont protégées au niveau national) constituent des antériorités faisant obstacle à la demande d’enregistrement de la marque.

Il existe de nombreux outils gratuits permettant au déposant de s’assurer que le signe qu’il entend déposer ne porte pas atteinte aux droits des tiers :

  • le site inpi.fr permet de vérifier que le signe ne porte pas atteinte à une marque antérieure,
  • les sites infogreffe.com ou www.societe.com permettent de vérifier que le signe ne porte pas atteinte à la dénomination sociale ou au nom commercial d’une société,
  • enfin, les sites afnic.fr permettent de vérifier que le signe ne porte pas atteinte à un nom de domaine antérieur.

L’INPI et certains acteurs privés proposent d’effectuer ces recherches d’antériorités, en contrepartie du paiement d’une somme variable.

Ces recherches permettent d’éviter qu’une marque soit enregistrée, qu’elle soit valorisée et utilisée intensivement, avant d’être annulée en raison de l’existence d’un signe antérieur.

L'exemple

JC, jeune créateur parisien, a créé un modèle de sac en 2017, inspiré des modèles de gibecières des chasseurs. Il dépose le signe « Jibecière », estimant que le « J » qui remplace le « G » est un élément suffisamment distinctif. Il dépose également le signe « jibesac», terme de fantaisie et arbitraire, qui comporte ses initiales et fait référence à sa source d’inspiration. Afin de renforcer la distinctivité du signe qu’il a choisi, JC sélectionne une police particulière, ajoute un élément de provenance (Paris) et un élément graphique : un rectangle rouge dans lequel s’inscrit un ovale jaune.

Il appose cette seconde marque sur les sacs qu’il commercialise.

Pour aller plus loin

La distinctivité du signe s’apprécie dans son ensemble et non en considération d’un seul des éléments qui la constitue, pris isolément.

Il est donc possible de déposer un signe générique, nécessaire ou usuel, si un élément arbitraire lui conférant une distinctivité lui est adjoint. Le déposant ne pourrait cependant se prévaloir par la suite de sa marque pour s’opposer à l’usage de la partie du signe qui n’est pas distinctive.

La Cour d’appel de Paris a ainsi reconnu la validité de la marque « Agenda XY », mais a précisé que le déposant ne pouvait se prévaloir de cette marque pour empêcher l’usage par ses concurrents du terme générique « agenda ».

La combinaison de deux termes descriptifs peut également être considéré comme constitutive d’un signe distinctif lorsque l’ensemble composé par ces deux termes est lui-même arbitraire, et que la structure composée est inhabituelle[9]. Les combinaisons « camping gaz » et « Baby dry » (bébé-sec) ont ainsi été jugées distinctives ; en revanche, ont été rejetées, parce que descriptives, les marques composées d’une succession de mots décrivant la catégorie ou la nature des produits ou services suivantes : « Comptafaciles »[10] ou encore « Etho-psycho-comportementaliste »[11]

Un signe à l’origine non distinctif peut également acquérir une distinctivité du fait de son usage prolongé dans le temps, que cet usage soit antérieur ou postérieur au dépôt[12]. C’est ainsi que la marque Vente-Privée.com qui n’est pas distinctive en elle-même a acquis un caractère distinctif du fait de son usage répété[13].

Les juridictions françaises et européennes[14] ont enfin confirmé à plusieurs reprises qu’un slogan pouvait constituer une marque valable. Il doit néanmoins être perçu par le consommateur comme une indication de l’origine du produit ou service, et non comme un simple message promotionnel, laudatif ou informatif. A défaut, le signe sera dépourvu de caractère arbitraire et distinctif et ne pourra constituer une marque valable.

[1] Le droit des marques est « un droit d’occupation et non un droit de création, il n’est pas interdit d’utiliser à ce titre un signe du domaine public, dès lors que celui-ci n’a besoin d’être ni nouveau, ni original, ni procéder d’une recherche ou d’une innovation » (Paris 4ème A 7 février 1996 p. 10 – JD 1996-021504).

[2] Cass.com. 15 déc.1998 : PIBD 1999, III, p.88.

[3] Paris 29 novembre 1994 PIBD 1995 n°582 III 90

[4] Cass. Com., 6 mai 2014, PIBD 2014.III.500).

[5] Cass. Com., 20 novembre 2007, n°06-16.387).

[6] Cass. Com. 7 octobre 1997 PIBD 1997 n° 644 III 644

[7] Article L.711-3 du Code de la propriété intellectuelle

[8] Article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle

[9]«Camping-gaz » : Cour d’appel de Paris 23 juin 1981 et rejet du pourvoi Cass. Com. 7 décembre 1983 ; « Baby dry » (bébé-sec) Cour de justice des communautés européennes 20 septembre 2001 PIBD 2002 n° 734 III 31.

[10] Cour d’appel de Paris, 26 septembre 2012, Prop. Intell. 2013, n°46, p.96, note Sabatier.

[11] Cour d’appel de Douai, 31 janvier 2013, PIBD 2013.III.1111.

[12] La Cour de Justice des Communautés Européennes saisie d’une question préjudicielle, a confirmé que le caractère distinctif pouvait être acquis « en conséquence de l’usage de cette marque en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci. » et ce, même si celle-ci n’avait pas « fait l’objet d’un usage indépendant » (CJCE 7 juillet 2005 n°C-353/03) : marques en cause « have a break » et « kit kat ».

[13] Cass. Com., 6 décembre 2016, n°14-19.648.

[14] CJUE, 21 janvier 2010, aff. C-398/08 P, Audi c/ OHMI.