Qu'est ce qu'une atteinte à mon droit de marque ?

Vincent Fauchoux
Par Vincent Fauchoux
Avocat au barreau de Paris et cofondateur du site BlockchainyouIp. Ancien président de l'association Cyberlex (2005- 2007), il est à l'origine des Rencontres annuelles du Droit de l'Internet.

Le principe : La notion d'acte de contrefaçon

Actes constitutifs d’une contrefaçon

Les articles L 713-2 et L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle énumèrent les actes d’exploitation susceptibles de constituer des actes de contrefaçon. Sont ainsi visés notamment :

  • La reproduction et/ou l’usage non autorisés d’une marque, pour désigner un produit ou un service visé dans l’enregistrement, dans la vie des affaires, par une personne autre que son titulaire. L’usage d’un signe auquel est adjointe une formule de style telle que « à la façon de, système, genre ou formule », constitue une contrefaçon[1], car cette pratique vise à tirer profit de la réputation de marque. De même l’adjonction de termes descriptifs, ne suffit pas à écarter le grief de contrefaçon (ainsi la marque Arthur et Félicie a été jugée similaire à la marque Arthur[2]);
  • La promotion, l’importation, l’exportation et la vente de produits comportant des marques (ces actes constituent des usages de la marque et peuvent être considérés comme illicites lorsqu’ils n’ont pas été autorisés par le titulaire, sous réserve de la théorie de l’épuisement des droits – cf. infra)
  • L’apposition, la suppression ou la modification d’une marque sur un produit constituent également des comportements susceptibles de constituer des contrefaçons.

Le titulaire des droits peut interdire aux tiers d’utiliser pour les classes dans lesquelles la marque a été enregistrée :

  • un signe reproduisant la marque à l’identique (ou comportant des modifications infimes)[3]
  • mais également un signe similaire lorsqu’il existe un risque de confusion entre ce signe et la marque déposée[4].

Enfin, il convient de relever que la bonne foi est inopérante en matière de contrefaçon. Le contrefacteur ne peut donc s’exonérer de sa responsabilité en soutenant qu’il ne savait pas qu’il commercialisait une contrefaçon.

Actes non susceptibles de constituer une contrefaçon

Le titulaire des droits ne peut pas s’opposer à toutes les formes d’usage de sa marque.

En effet, la reproduction et/ou l’usage d’un signe ne sont susceptibles de constituer un acte de contrefaçon que dans le cas où le signe litigieux désigne l’origine des produits ou services et/ou qu’il est susceptible d’accréditer l’existence d’un lien matériel dans la vie des affaires entre les produits du tiers et l’entreprise de provenance des produits.[5].

En outre, l’usage d’une marque afin de critiquer la politique commerciale d’une société ne peut pas plus être considéré comme une contrefaçon, dans la mesure où le signe n’est pas utilisé dans la vie des affaires, mais dans le cadre de la liberté d’expression[6] (qui pourra être invoquée par des journalistes, des syndicats, mais non par un créateur dans le cadre de son activité).

Par ailleurs, les faits antérieurs à la publication de la demande d’enregistrement de la marque ne portent pas atteinte à celle-ci[7] .

Enfin, le titulaire d’une marque ne peut pas plus s’opposer à l’usage qui serait fait de sa marque dans son acception courante (ainsi un journaliste écrivant « j’ai eu un coup de cœur pour ce chemisier », ne pourrait se voir poursuivi pour contrefaçon de la marque « Coup de cœur »).

Les dispositions spécifiques relatives à la marque notoire

Le titulaire d’une marque notoire (telle que Chanel, DIOR, etc.) dispose d’une action spécifique prévue par l’article L 713-5 du Code de la propriété intellectuelle[8].

Il peut sur ce fondement rechercher la responsabilité des tiers qui utiliseraient la marque notoire dans des classes de produits ou de services non visées dans l’enregistrement.

Les atteintes sanctionnées sur le fondement de l’article L 713-5 ne constituent pas des contrefaçons, mais portent atteinte aux droits du titulaire de la marque notoire et engagent la responsabilité civile de leur auteur.

Par exemple : JC découvre qu'une société contrefait sa marque de sac

JC, titulaire de la marque « JibesaC, découvre qu’une société a déposé et utilise la marque « Jib-saK » pour désigner différents sacs de voyage (cette marque a été déposée bien après la marque dont JC est titulaire).

Ces agissements sont susceptibles de constituer des actes de contrefaçon dans la mesure où :

  • il existe des ressemblances visuelles, auditives et conceptuelles entre ces deux marques, créant un risque de confusion (les deux marques n’étant pas identiques, seule l’action fondée sur l’article L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, sanctionnant la reproduction par imitation est possible) ;
  • la marque Jib-Sak désigne des produits visés dans l’enregistrement de la marque JibesaC.
  • la marque Jib-Sak est utilisée dans la vie des affaires ;

JC (ou la société à laquelle il aura consenti une licence d’exploitation à titre exclusif) disposera donc de sérieuses chances de succès et pourra demander au Tribunal :

  • d’annuler la marque litigieuse.
  • de condamner le titulaire de la marque Jib-saK (ou le revendeur des sacs revêtus de la marque litigieuse) à lui payer une somme d’argent en réparation du préjudice qu’il a subi et du fait de l’affaiblissement du caractère distinctif de la marque « JibesaC» ;
  • de retirer tous les produits revêtus de cette marque ;
  • d’interdire au tiers de poursuivre ses agissements fautifs ;

Pour aller plus loin : les défenses possibles contre une action en contrefaçon

L’action fondée sur un titre de propriété intellectuelle, comprend toujours le risque qu’une demande reconventionnelle en nullité de la marque soit formée par le tiers contrefacteur.

En outre, les usages d’un signe non autorisés par le titulaire ne constituent pas toujours des actes de contrefaçon.

L’épuisement du droit des marques

L’article L 713-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose :

« Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou dans l’Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement ».

Ainsi le titulaire de droits sur une marque qui a autorisé la vente de produits authentiques sur le marché de l’Union Européenne ne peut s’opposer à la revente de ces produits par des sous distributeurs successifs, qui n’ont pas à solliciter son autorisation (sauf motifs légitimes particuliers, ou lorsque ces ventes interviennent dans le cadre d’un réseau de distribution sélectif).

La référence nécessaire

Par ailleurs, l’article L 716-5 du CPI rappelle que le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à l’usage de celle-ci lorsqu’elle constitue une « référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine».

Il s’agit à titre d’exemple des lames de rasoir conçues pour s’adapter sur un modèle de rasoir spécifique[9] ou des sacs d’aspirateurs conçus pour s’adapter sur un ou plusieurs fabricants d’électroménager.

L’utilisation de la marque est alors nécessaire puisque ces lames de rasoir ou ces sacs d’aspirateurs ne pourraient être vendus sans cette référence nécessaire.

La publicité comparative

La publicité comparative[10] implique nécessairement l’usage de la marque d’un concurrent.

Cette pratique autorisée et encadrée par la loi ne constitue donc pas un acte de contrefaçon.

[1] Cette pratique est usuelle en matière de contrefaçon de parfums. Les revendeurs utilisant souvent des tableaux de concordance.

[2] Paris 11 mai 2005 – PIBD 2005 n° 813 III 476

[3] L 713-2 du Code de la propriété intellectuelle

[4] L 713-3 du Code de la propriété intellectuelle – la confusion doit s’apprécier globalement et la comparaison s’attache aux ressemblances visuelles, auditives et conceptuelles existant entre les deux marques

[5] Arsenal / Reed du 12 novembre 2002 considérant n°54 ET 48

[6] Cass. Civ. 1ère 8 avril 2008 Greepeace/Areva

[7] Sauf si une copie de la demande d’enregistrement a été notifiée à une personne, auquel cas la responsabilité de celle-ci peut être recherchée pour des faits postérieurs à cette notification même s’ils sont antérieurs à la publication de l’enregistrement (Art. L.716-2 CPI).

[8] « la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ».

[9] CA Paris, 30 septembre 1998, Gillette c/ Monoprix, PIBD 1999, n°668, III, 32

[10] Articles L 121-8 et suivants du Code de la consommation